La Chine laisse planer la menace d’une intervention musclée à Hong Kong afin de mater les manifestations. Mais le risque économique devrait dissuader Pékin de commettre un nouveau « Tiananmen » dans l’ancienne colonie britannique, estiment des experts.
Dénonçant la violence croissante des manifestations que la police du territoire autonome ne parvient pas à endiguer, un haut responsable du régime communiste a averti la semaine dernière : « Ceux qui jouent avec le feu périront par le feu »
Ajoutant l’image au texte, Pékin a diffusé des vidéos d’exercices de l’Armée populaire de libération (APL, l’armée chinoise) en train de réprimer des contestataires, attisant la perspective d’une intervention à Hong Kong qui mettrait fin à l’agitation.
« Pékin utilise la menace de l’APL ou d’une autre forme d’intervention directe afin d’effrayer les manifestants », observe le chercheur Ben Bland, de l’institut australien Lowy. « Mais compte tenu du risque sur le terrain, ainsi que pour la réputation et l’économie de la Chine, envoyer l’APL serait très dangereux ».
L’armée chinoise n’a plus été utilisée contre des manifestants depuis la répression de Tiananmen à Pékin en juin 1989. Bilan: des centaines, voire plus d’un millier de morts, deux ans de quasi-stagnation économique et une Chine mise au ban des nations.
Trente ans plus tard, Wu’er Kaixi, un ancien dirigeant étudiant du mouvement de Tiananmen, doute que Pékin prenne le risque d’envoyer la troupe dans les rues d’une place financière majeure comme Hong Kong.
« Il ne faut pas oublier que le gouvernement chinois est mû par son intérêt et que l’intérêt personnel des dirigeants chinois est lié au maintien de la stabilité économique à Hong Kong », déclare-t-il depuis Taïwan où il vit en exil. « Je pense qu’ils ont appris la leçon que le prix du recours à l’armée est très élevé ».
Une intervention militaire aurait en outre un effet désastreux sur Taïwan, l’île que Pékin cherche à convaincre de rejoindre le giron chinois, souligne-t-il.
Des nouvelles techniques de maintien de l’ordre
En vertu du statut spécial de l’ancienne colonie britannique rendue à la Chine en 1997, la garnison de l’armée chinoise, qui compte plusieurs milliers d’hommes, n’est pas censée intervenir dans le territoire, sauf si les autorités locales en font la demande.
Depuis 1989, l’armée chinoise a perfectionné ses techniques de maintien de l’ordre, ce qui pourrait lui permettre d’intervenir de façon moins sanglante qu’à Pékin.
« La répression de Tiananmen a été une grande leçon pour le PCC », le Parti communiste chinois (PCC) au pouvoir, note le politologue Wu Qiang, ancien professeur de l’Université Tsinghua à Pékin.
Après le carnage, les pays occidentaux ont imposé un embargo sur les ventes d’armes à la Chine, mais cela n’a pas interdit « de nombreux échanges » entre Pékin et les forces de police en Europe et aux États-Unis, plus accoutumées à la répression des manifestations sans faire couler le sang, relève-t-il.
« Une grande partie de ces échanges portait sur les moyens de répondre aux émeutes politiques et aux manifestations pacifiques », assure-t-il. « Beaucoup d’expérience a été acquise auprès des pays européens et des États-Unis ».
Reste à voir comment ces forces et les manifestants réagiraient en conditions réelles.
« Le régime chinois n’a pas l’expérience des opérations anti-émeutes dans une société libre, il reste en phase d’apprentissage », observe Wu Qiang.
Des policiers et des militaires chinois déguisés ?
Si le régime communiste renonçait à recourir ouvertement à l’armée, il pourrait en revanche dépêcher subrepticement des soldats ou des policiers du continent, suppose le sinologue Willy Lam, de l’Université chinoise de Hong Kong.
« Ils porteront des uniformes de la police de Hong Kong pour qu’il ne s’agisse pas d’un déploiement officiel », suppose-t-il.
Dans un communiqué, la police hongkongaise a catégoriquement démenti jeudi « les allégations » selon lesquelles des renforts du continent se trouveraient déjà dans ses rangs.
Mardi dernier, un exercice anti-émeute s’est déroulé aux portes de Hong Kong, dans la métropole de Shenzhen. L’exercice a rassemblé pas moins de 12.000 hommes, a précisé la police locale, sur une vidéo qui semble destinée à impressionner les militants hongkongais. Mais pas seulement.
« Il s’agit surtout d’empêcher la situation à Hong Kong de se propager à la Chine continentale », estime le professeur Wu Qiang.
« Ce qui fait peur au pouvoir chinois, ce sont les ramifications en Chine même« , analyse également le sinologue Jean-Pierre Cabestan, de l’Université baptiste de Hong Kong.
« Face à ce défi à la dictature du Parti », les dirigeants chinois « se sentent menacés et plus enclins à utiliser la répression » à Hong Kong, prévient-il.