D’abord cantonnée au seul monde du football, “l’affaire Özil-Gündogan”, joueurs allemands d’origine turque accusés d’avoir manqué de loyauté à l’Allemagne, inquiète désormais la communauté turco-musulmane qui y voit un effet de la montée du racisme.
“Ce débat montre où nous en sommes dans ce pays. L’intégration et le +multiculturel+ ont échoué une fois pour toutes”, dénonce le sociologue Cihan Sinanoglu, porte-parole de la communauté turque. “Même quelqu’un qui est né et qui a grandi ici peut se voir dénier son appartenance à l’Allemagne”.
Et de rappeler un incident comparable survenu en Suède pendant le Mondial, lorsque le joueur Jimmy Durmaz, enfants d’immigrants, a été victime de violentes attaques racistes sur les réseaux sociaux pour avoir provoqué un coup-franc synonyme de défaite de son équipe.
“En Suède, tous les joueurs ont soutenu Jimmy Durmaz”, rappelle Sinanoglu, “et en Allemagne? Tout le monde se tait plutôt que d’évoquer le racisme qui frappe les deux joueurs, on détourne le regard et on cherche un bouc émissaire pour éviter de voir ses propres échecs”.
L’affaire a explosé mi-mai, lorsque Mesut Özil, un pilier de la Mannschaft, et son coéquipier Ilkay Gündogan, plus souvent remplaçant, nés en Allemagne et qui n’ont même pas la nationalité turque, ont posé pour des photos avec le chef de l’Etat turc Recep Tayyip Erdogan, alors en pleine campagne électorale. Sur le maillot qu’il lui avait offert, Gündogan avait écrit: “A mon président”.
Hué par le public
Au moment où la coalition gouvernementale d’Angela Merkel menaçait d’exploser à cause de la politique migratoire, l’incident a eu une énorme résonnance. Même si la situation des enfants d’immigrés nés en Allemagne et possédant la nationalité allemande n’a rien à voir avec l’actuelle question de l’accueil des réfugiés.
Au match suivant à domicile, Gündogan a été hué par le public, et Özil n’a évité les quolibets que parce qu’il est resté sur le banc de touche, légèrement blessé. La chancelière allemande avait alors pris leur défense.
Face au tollé, Gündogan s’est expliqué dans la presse, mais son camarade s’est réfugié dans le silence. Et la Fédération allemande de football (DFB) a regardé enfler la polémique sans vraiment réagir ni défendre ses joueurs.
Après l’élimination au premier tour du Mondial, Özil, qui n’a pas été sportivement à la hauteur des attentes placées en lui, a été désigné par une partie de l’opinion comme le principal responsable de cette humiliation historique.
Le parti d’extrême-droite AfD s’en est donnée à coeur joie sur les réseaux sociaux, accusant ouvertement le joueur d’avoir saboté ses matches: “Özil peut être content, bien joué Erdogan!” a notamment twitté son porte-parole Christian Lüth.
‘Pris entre deux feux’
En affirmant la semaine dernière “qu’il aurait fallu envisager de se passer d’Özil”, c’est à dire l’exclure de l’équipe nationale, le manager de la Mannschaft Oliver Bierhoff a donné du grain à moudre aux anti-Özil.
“Cette déclaration est une insulte. A mon avis, elle a pour but de sauver sa propre peau”, accuse dans le grand quotidien Bild le père du joueur, Mustafa Özil. “Quand on perd, on perd à cause d’Özil? (…) Ca fait neuf ans qu’il joue pour la sélection allemande (…) et il est même devenu champion du monde avec elle. Il a beaucoup aidé son pays”, ajoute le père, visiblement blessé.
“Ce garçon souffre du destin de centaines de milliers de jeunes gens de souche turque en Allemagne qui se sont totalement intégrés, mais qui continuent à se reconnaître des racines turques, et pour cela sont constamment pris entre deux feux”, observe pour sa part Baha Güngor, journaliste turco-allemand et auteur spécialisé dans les questions migratoires”.
Cacau, ex-international allemand d’origine brésilienne, aujourd’hui chargé à la DFB de la politique d’intégration dans le football amateur, espère lui que cette controverse ne viendra pas saper ses efforts: “Mais, dit-il, le débat est actuellement tellement confus, tellement chargé émotionnellement, qu’on ne peut en fait plus rien dire, sauf à jeter encore de l’huile sur le feu.”