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Une alliance inédite et contre nature entre les États-Unis, Israël et l’Arabie saoudite

Le retrait tonitruant de Donald Trump de l’accord nucléaire iranien, ponctué par une escalade militaire jeudi entre Israël et l’Iran, consacre une nouvelle donne stratégique dans la région, porteuse de risques majeurs de déflagration.

Une alliance inédite entre États-Unis, État hébreu et Arabie saoudite se dresse, prônant la force, face aux ambitions de l’Iran. Donald Trump tourne aussi le dos aux Européens, à qui revient la lourde tâche désormais de sauver l’accord.

Une alliance “contre nature”

Israël et l’Arabie saoudite ont une même obsession, empêcher l’Iran de devenir une puissance régionale qui menacerait pour l’un sa sécurité, pour l’autre son propre leadership au Moyen-Orient.

“Il en résulte une coalition un peu contre nature”, sur laquelle Donald Trump s’est aligné, relève Denis Bauchard, expert du Moyen-Orient à l’Institut français des relations internationales (Ifri) à Paris.

“Trump a décidé de donner complètement satisfaction aux Israéliens sans la moindre réserve”, de la dénonciation de l’accord nucléaire au transfert de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem, renchérit Agnès Levallois, vice-présidente de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient(IREMMO).

Le renforcement de la présence iranienne dans la région, particulièrement en Syrie, aux portes de l’Etat hébreu, est devenue une ligne rouge pour les autorités israéliennes et par ricochet pour Washington.

A Ryad, le jeune prince héritier Mohammed ben Salmane ambitionne un rôle majeur pour son pays, dans le Golfe et au-delà, et n’entend pas voir Téhéran lui voler la vedette, note Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe à Genève.

Pour l’Arabie saoudite, il était essentiel de dénoncer l’accord de 2015, censé empêcher l’Iran de se doter de la bombe atomique en échange d’une levée des sanctions internationale mais qui, en dopant ainsi son économie, lui donne “des ailes pour rayonner sur le plan régional et international”, estime-t-il.

De son côté, Israël l’a toujours jugé insuffisant pour garantir que Téhéran n’accèderait pas à jour à l’arme nucléaire, après avoir en outre développé ces dernières années un important programme balistique.

En frappant massivement des positions iraniennes jeudi en Syrie, deux jours après la dénonciation de l’accord, il a voulu dire aux Iraniens : “Maintenant rentrez chez vous, arrêtez d’être présent sur différents terrains et en particulier à la frontière avec Israël”, estime Agnès Levallois.

Le “langage de la force”

“Les Israéliens ont choisi ce moment pour frapper parce qu’ils savent que l’Iran ne peut pas répondre militairement s’il tient à sauver un accord (nucléaire) très important pour lui au plan économique et politique”, analyse également Hasni Abidi.

Le président iranien Hassan Rohani, qui a beaucoup misé sur l’accord pour sortir son pays de l’isolement, s’est dit prêt à y rester après le retrait américain si les Européens lui garantissent des retombées économiques.

Avec l’arrivée de Donald Trump, “l’approche multilatérale, la diplomatie, est en berne” et plutôt remplacée par “un nouveau langage basé sur l’usage de la force ou sur la menace de l’usage de la force”, considère Hasni Abidi.

Certains experts, comme Denis Bauchard, y voient même une volonté de déstabiliser le pouvoir iranien et de contribuer à un changement de régime dans ce pays.

“Les États-Unis resteront en revanche en retrait au Moyen-Orient. Ils sont encore très englués en Afghanistan, ils ont des velléités de partir de Syrie et l’opinion publique américaine n’y serait pas favorable”, analyse Denis Bauchard.

L’Amérique de Trump a choisi de “nouveaux alliés, qui ne sont plus ceux de 1945, les démocraties occidentales” et mène une politique qui fait la part belle aux faucons, à commencer par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, note Hasni Abidi.

Si l’Europe veut sauver l’accord iranien, elle va devoir “tenir tête aux Américains” sur les sanctions qui menacent ses entreprises travaillant avec l’Iran et “se montrer forte”, pointe Angès Levallois.

Entre guerre et paix

“L’escalade des dernières heures nous montre qu’il en va vraisemblablement de la guerre ou de la paix” au Proche-Orient, s’est alarmée jeudi la chancelière allemande Angela Merkel.

Pour Hasni Abidi toutefois, Israël comme l’Iran n’ont aucun intérêt aujourd’hui à aller vers une guerre. “Les Israéliens ne sont pas demandeurs d’un conflit armé qui risque de s’éterniser”, dit-il.

Les Iraniens observent une “certaine prudence pour éviter une escalade qu’ils ne pourraient pas contrer”, estime également Denis Bauchard de l’Ifri.

Si l’accord nucléaire iranien vole en éclat et si Téhéran reprend son programme d’enrichissement d’uranium et se dote de l’arme nucléaire, le risque de déflagration augmentera considérablement.

La “boîte de Pandore” de la prolifération nucléaire se rouvrira, s’alarment les Occidentaux. L’Arabie saoudite a déjà prévenu qu’elle développerait son propre arsenal nucléaire et les Israéliens ne resteront pas non plus les bras croisés face à Téhéran.

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