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Une contribution d’Ali Benflis – Faux procès et vrais enjeux

Une contribution d’Ali Benflis – Faux procès et vrais enjeux

CONTRIBUTION. L’effondrement du régime politique qui a sévi deux décennies durant dans notre pays a toujours fait craindre qu’il n’emporte avec lui l’Etat national lui-même. La menace n’est pas une simple hypothèse. Elle a pris la tournure d’un risque réel. La menace existentielle sur l’Etat national est venue, sans surprise, de là où elle était attendue, c’est-à-dire du régime politique lui-même qui a commencé par prendre appui sur des forces extraconstitutionnelles pour survivre et qui a fini par ne leur servir que de simple devanture.

Tout au long des cinq dernières années, j’ai patiemment décrit cet engrenage. Certains n’y ont lu que l’insignifiance de l’excès lorsque d’autres, beaucoup plus simplement, l’ont ravalé au rang d’une vue de l’esprit. Aujourd’hui, cet engrenage livre toujours ses mystères et ses ravages sont visibles à l’œil nu. Le champs politique est un désert. L’ordre constitutionnel est un champs de mines. Le système institutionnel est un champs de ruines. Comment sauver l’Etat national avec un héritage aussi lourd ?

Pour l’heure, voilà la seule question qui vaille. Face à un enjeu d’une telle ampleur il n’y a pas de place pour les débats byzantins, pour les faux procès ou pour les coquetteries des puristes du chaos créateur. Il n’y a qu’un Etat national demandant à être secouru et tous les patriotes doivent se donner la main pour lui porter secours.

Oui l’Etat national est en péril

Il y’a d’abord le vide institutionnel qui le menace dans son intégrité même. Aucun Etat ne peut durablement survivre à la concomitance d’une Présidence provisoire, d’un Gouvernement de gestion des affaires courantes, d’un Parlement hors champs et hors sol, d’une administration sans aiguillon hiérarchique et d’une économie livrée à elle-même.

Il y a ensuite la menace sécuritaire. De ce point de vue, les derniers développements simultanés tant au Sahel qu’en Lybie n’augurent rien de bon. Face à ces développements, l’instabilité de notre pays accroit sa vulnérabilité. N’oublions jamais que les terrorismes de toute sorte sont à la quête permanente de pays affaiblis pour y semer les graines de la haine et de la désolation.

Il y a aussi le désastre économique qui frappe notre pays. L’économie nationale est à l’agonie. Elle est sous perfusion de la planche à billets et rien d’autre. L’ombre du Fonds Monétaire International rôde au-dessus de nos têtes. A défaut d’un sursaut rapide nous emprunterons inexorablement le chemin qui mène vers lui. Et si ce sursaut tarde à avoir un effet productif, il y’a tout lieu de craindre que le premier acte du Président et du Gouvernement légitimes à venir sera d’aller frapper à ses portes.

Il y a également la menace des interférences étrangères. Une loi d’airain des relations internationales veut que celles-ci foisonnent par temps d’instabilité et d’incertitude. Elles trouvent toujours des appels d’air dans les pays qui perdent la pleine maîtrise de leurs affaires intérieures.

Et plus longue sont l’incertitude et l’instabilité, plus il est loisible aux ingérences étrangères d’affiner leurs calculs et de faire avancer leurs pions.

Il y a enfin et toujours, la menace intérieure. La révolution démocratique pacifique a déjà mobilisé contre elle « l’Etat profond » dont elle remet fondamentalement en cause les intérêts douteux et les positions mal acquises. Chez nous, « l’Etat profond » a un visage et c’est celui des forces extraconstitutionnelles qui n’ont pas baissé les bras. Il a des têtes pensantes que l’on a vues à l’œuvre. Il a sa force de frappe qui se révèle à travers toutes les clientèles auxquelles l’ancien régime a livré tout un pays qu’elles ont mis à sac. Parmi ces clientèles, certaines opèrent des conversions spectaculaires alors que d’autres, encore tapis dans l’ombre, attendent patiemment leur heure.

Face à toutes ces menaces, où est notre rempart ?

La révolution démocratique a procédé à bien des mises à nu. Elle a livré à nos regards attristés et affligés la vacuité d’institutions constitutionnelles dont l’Etat a été minutieusement dépossédé et dont la raison d’être s’est réduite au service d’un homme, d’un clan et d’un régime politique dévoyé.

Dans la désolation généralisée que ce régime a semée, il y a un rempart inexpugnable. C’est celui que forment aujourd’hui le Peuple et son Armée. Et c’est sur eux que repose essentiellement le devenir de l’Etat national et la révolution démocratique pacifique elle-même. En effet l’Etat national et la révolution démocratique sont confrontés aux mêmes menaces. Ils ont partie et sort liés.

Plus que quiconque d’autres, le Peuple algérien, dans sa lucidité et sa sagesse, a très tôt, compris l’importance capitale de cet enjeu. En effet, dès sa toute première marche, il clamé haut et fort son attachement au lien de fraternité qui l’unit à son armée. Et c’est vers cette même armée qu’il s’est ensuite tourné pour demander aide et soutien à ses revendications les plus légitimes. Et c’est cette même armée qui lui a répondu en l’assurant qu’elle est à ses côtés jusqu’à la satisfaction pleine et entière de toutes ses exigences.

Ce faisant, et de manière indubitable, nos forces armées ont fait cause commune avec le peuple. Cette véritable communion entre le peuple et son armée n’est ni un simple vœu pieux ni une banale supputation. C’est un fait établi et une donnée marquante dont il importe de faire un point de départ dans tout débat sur la place de notre armée dans la révolution démocratique en cours dans notre pays.

Ce débat s’est ouvert chez nous. Il ne s’agit pas de l’éluder. Les maître-mots qui doivent y prévaloir sont ceux de la clairvoyance, de la lucidité et du réalisme. Les dogmes figés n’y sont d’aucun apport ni de bon conseil. Dans tous les débats de cette sorte il y’a toujours les voies extrêmes et les voies médianes. Aux extrêmes et dans une perspective longue, l’Armée Nationale Populaire n’a pas échappé et n’échappe toujours pas aux rancœurs historiques, d’un côté et à l’antimilitarisme érigé en fonds doctrinal, de l’autre.

Entre les deux, il y a la voie médiane, empruntée par ceux qui croient lucidement et pragmatiquement que la refondation démocratique ne peut s’opérer de manière apaisée et sereine sans la contribution et l’engagement de toutes les forces patriotiques, y compris, naturellement, nos forces armées, elles-mêmes.

Soutenir cette voie n’est pas pêcher par manquement aux valeurs démocratiques tout comme le rigorisme des extrêmes n’est pas nécessairement un certificat de bonne conduite démocratique.

Le rôle et la place de l’armée dans la refondation démocratique qui s’annonce ne devraient être ni un objet de fixation pour les uns ni une obsession prégnante pour les autres. Le jugement y perdrait en justesse et la mesure des vrais enjeux de l’heure en serait faussée.

La société Algérienne a changé. Le peuple algérien a changé. Et l’Armée Nationale Populaire, elle-même, n’a pas manqué le rendez-vous de la transformation et a profondément changé.

Elle sait que le temps a fait son œuvre et qu’elle n’est pas et n’a plus à être l’alpha et l’Omega de la vie politique nationale.

Dans la sortie de crise qui se met en place, tout apport est le bienvenu et aucun bras n’est de trop. Quitte à subir les procès pour excès de rigorisme constitutionnel, l’Armée Nationale Populaire s’est solidement positionnée dans le camp de la légalité. Elle ne décide pas. Elle ne dicte pas. Elle n’impose pas. Elle suggère, elle contribue et cherche à aider. Elle n’est pas l’ordonnateur. Elle est ce qu’elle doit être, le facilitateur qui accompagne, qui protège et qui garantit la marche vers la refondation démocratique que le peuple veut.


*Ali Benflis est secrétaire général de Talaie El Hurriyet, ancien chef de gouvernement


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