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Une lauréate du prix Assia Djebar au cœur d’une vive polémique en Algérie

Une lauréate du prix Assia Djebar au cœur d’une vive polémique en Algérie

Inaam Bayoudh Via Facebook
Inaam Bayoudh

L’écrivaine Inaâm Bayoudh était loin de se douter de la vive polémique qu’allait provoquer  son roman « Houaria » paru aux Éditions MIM. Un roman qui lui a valu de décrocher la prestigieuse distinction du Grand Prix Assia Djebar 2024, en langue arabe le 9 juillet dernier.

Levée de boucliers ! Depuis 24 heures, Houaria, roman en arabe de l’écrivaine Inaâm Bayoudh a mis le feu aux poudres pour enflammer les réseaux sociaux sous  les coups de gueule de nombreux internautes, écrivains, cinéastes qui crient au scandale.

Les détracteurs de l’autrice relèvent l’utilisation de « termes grossiers » en darija (arabe algérien) dans le roman et mettent à l’index l’insulte faite à la ville d’Oran à travers cette fiction romanesque.

Les échanges entre les internautes sont virulents et certains exigent même que le prix Assia Djebar soit retiré à Inaâm Bayoudh et que le titre soit interdit dans les librairies.

MIM, la maison d’édition, qui a publié ce roman, a baissé le rideau. Sur sa page Facebook, elle s’est fendue d’une déclaration : « Nous n’étions que des défenseurs de la paix et de l’amour et nous ne cherchions qu’à diffuser cela ».

Solidarité des intellectuels

De leur côté, plusieurs écrivains et éditeurs ont tenu à exprimer leur solidarité avec l’écrivaine.

Amar Ingrachen, directeur de la maison d’édition Frantz Fanon, ne mâche pas ses mots. « La polémique soulevée par ce roman a des relents moralistes qui sont la suite logique d’une islamisation au forceps de la société algérienne », assène-t-il, avant d’ajouter : « Quand on se compromet intellectuellement avec un vulgaire projet d’islamisation de la société, on ne doit pas s’étonner devant ce genre de comportement. Mais évidemment, par principe, je suis solidaire avec l’autrice et je pense que la liberté d’expression et de pensée doit être défendue et protégée sans condition ».

La liberté d’expression, avant tout !

De son côté, Malek Amirouche, écrivain et animateur culturel déplore la tournure prise par la sortie de ce roman.

« C’est triste, regrettable et révoltant d’en arriver là. Les gardiens de la morale ne ratent aucune occasion de vouer aux gémonies quiconque sort de leur vision tronquée. S’acharner de telle manière sur une intellectuelle qui a fait ses preuves relève du pathologique », affirme-t-il.

Inaâm Bayoudh, est une « grande dame, très cultivée et ouverte d’esprit », ajoute Malek Amirouche qui exprime sa solidarité avec l’écrivaine et la poétesse.

« C’est à la lecture de sa poésie que j’ai compris la profondeur de la femme de lettre qu’elle est. Ce qui vient de se passer met à nu les  desseins des adeptes  des ténèbres. A travers cette levée de boucliers, c’est à la femme et aux valeurs du progrès qu’on veut s’attaquer. »

Malek Amirouche condamne avec « force et vigueur cet acharnement d’un autre âge contre le symbole du progrès véhiculé par la femme. Une société qui tourne le dos à la femme ira droit au mur ».

Sur sa page Facebook, le pédagogue Ahmed Tessa a tenu à réagir à son tour et à exprimer son soutien à l’autrice de Houaria.

 « Elle est Algérienne, polyglotte, pétrie de cultures (au pluriel), intellectuelle de talent et engagée pour une Algérie enracinée dans son identité millénaire et ouverte sur la modernité. Il s’agit de Inaâm Bayoudh dont le roman ‘Houaria’ en langue arabe est l’objet d’une levée de boucliers de la part des familles qui reculent vers le néant ».

Pomme de discorde

Djawad Rostom Touati, écrivain qui a fait partie du jury du Grand Prix Assia Djebar, a également posté un commentaire sur sa page Facebook dont voici un extrait.

 « Houaria, d’Inaâm Bayoudh est l’un des romans les plus beaux et captivants qu’il m’eût été  donné de lire, toutes langues confondues (…) Dans un style de haute facture sans jamais être insidieux, l’auteure saupoudre sa narration de dialogues en dialecte oranais, qui donnent au récit un surcroît de réalisme au point que l’on croit voire les personnages sous nos yeux. Ces passages parfois crus, sans être vulgaires, sont esthétiquement justifiés et jouent un rôle primordial dans la narration (…). Il semblerait cependant que le procédé, pourtant répandu chez maints grands auteurs (Choukri, Mahfoud, etc) eût choqué (vraiment ?) quelques esprits bien-pensants, qui se sont empressés, photos à l’appui, de signaler ses passages comme indigne de la littérature… ».

Jamais un roman publié par une autrice algérienne n’avait suscité  une pareille controverse. Houaria, le roman  d’Inaâm Bayoudh n’a pas encore été distribué en librairie et déjà des milliers de lecteurs cherchent à se le procurer pour découvrir, par eux même, l’origine de ce déluge de haine. Une énorme publicité et un- cros- en jambe pour les donneurs de leçons et autres moralisateurs !

Motion de soutien à Inaâm Bayoudh

Face à l’ampleur prise par la polémique, des écrivains ont lancé ce mardi une motion de soutien à l’écrivaine Inaâm Bayoudh.

Les signataires dénoncent avec la « plus grande fermeté les attaques indignes et les menaces à peine voilées ou assumées contre eux. »

Ils condamnent les « atteintes à la liberté de créer, d’éditer, de publier et de diffuser des œuvres de l’esprit d’où qu’elles viennent », et apportent leur « soutien total à l’auteure, son éditrice et les membres du jury et les assurons de notre entière solidarité. »

Parmi les signatures figurent les écrivains Maïssa Bey, Lazhari Labter,  H’mida Ayachi, Amin Zaoui, le sociologue Nacer Djabi et la réalisatrice Sofia Djama.

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