En plus de la volonté de Donald Trump de faire plus de place au gaz américain sur le marché européen, un autre facteur risque de chambouler davantage la carte énergétique de l’Union européenne, principale destination du gaz algérien.
Les livraisons algériennes seront-elles impactées par l’entrée en vigueur en 2027 de la directive européenne relative à la « durabilité » ?
Le Qatar, l’un des plus gros exportateurs mondiaux de GNL (gaz naturel liquéfié), brandit déjà la menace de se retirer du marché du vieux continent, si cette directive venait à être appliquée.
Le Qatar menace de se retirer du marché européen du gaz
Vendredi 20 décembre, le président élu américain, qui prendra ses fonctions le 20 janvier prochain, a sommé l’Union européenne d’acheter plus de GNL et de pétrole américains, faute de quoi il imposerait des taxes élevées sur les produits européens, comme il envisage de la faire pour les marchandises en provenance de Chine, du Mexique et du Canada.
Donald Trump souhaite réduire le déficit de son pays dans ses échanges de biens avec l’UE (-155 milliards d’euros). Dans les services, les États-Unis sont toutefois excédentaires avec 104 milliards d’euros.
Les États-Unis sont un important fournisseur énergétique de l’UE qui leur achète 2 millions de barils/jour de pétrole. Il s’agit de la moitié des exportations américaines d’or noir.
Au premier semestre 2024, 47 % des importations européennes de GNL venaient des États-Unis. Les autres principaux fournisseurs de l’UE sont l’Algérie, la Russie, la Norvège, l’Azerbaïdjan et le Qatar.
Outre ce coup de pression américain, la carte énergétique européenne risque d’être davantage chamboulée par les répercussions de la directive dite DSDDD ou « devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité ».
La directive impose aux grandes entreprises de s’assurer à partir de 2027 que toute leur chaîne d’activités ne contrevient pas aux droits de l’homme et à la protection de l’environnement. Une amende pouvant aller jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires des entreprises réfractaires est prévue.
Le gaz algérien sera-t-il touché par la nouvelle législation européenne sur la durabilité ?
Le Qatar, qui fournit 10 % des besoins de l’Europe en gaz, ne veut pas de cette directive et menace déjà de cesser ses livraisons de gaz à l’UE si des amendes sont infligées à sa compagnie gazière.
« S’il s’avère que je perds 5 % de mes revenus en allant en Europe, alors je n’irai plus en Europe », a déclaré dimanche 22 décembre au Financial Times le ministre qatari de l’Energie, Saad Al Kaabi.
« Ces 5 % de revenus générés par QatarEnergy signifient également 5 % de revenus pour le Qatar », a-t-il ajouté.
Quel impact aura l’application de la nouvelle directive sur Sonatrach et l’Algérie ? Ni le ministère de l’Énergie et des mines, ni Sonatrach n’ont réagi pour le moment.
« Elle touchera tous les fournisseurs de l’Europe et d’abord les États-Unis dont le gaz provient des schistes », répond à TSA un expert en énergie pour qui il s’agit d’un « précédent » qui s’ajoute à la taxe carbone pour les produits pétrochimiques (engrais, ciment et acier notamment) qui « passera très mal pour l’UE si elle la mettait en œuvre ».
Sonatrach : un milliard de dollars pour « réduire son empreinte carbone »
La renégociation de l’accord d’association entre l’Algérie et l’UE devrait « aborder ces problèmes potentiels » car, ajoute cet expert, « nous sommes et serons de plus en plus exportateurs de produits pétrochimiques et de produits à haute intensité énergétique comme le ciment, l’acier, les engrais, etc. »
L’expert énergétique algérien dit s’attendre à d’autres ripostes, à l’exemple de celle du Qatar, car, souligne-t-il, « le rapport de forces a changé ».
L’Algérie fournit à l’Europe surtout du gaz naturel via deux gazoducs la reliant à l’Espagne et l’Italie. En octobre dernier, le géant gazier algérien Sonatrach est devenu le premier fournisseur de l’Europe en gaz avec 1,3 milliard d’euros pendant le même mois, soit 21 % des importations de l’UE.
L’Algérie est également un important fournisseur de GNL par méthaniers, ayant expédié 12,9 millions de tonnes vers l’UE en 2023, selon les chiffres de la plateforme américaine Energynews. Les acheteurs de GNL algérien sont principalement la Turquie et trois États de l’Union européenne, la France, l’Espagne et l’Italie.
Pour réduire son impact carbone, le groupe Sonatrach a entrepris un gigantesque projet de plantation de plus de 423 millions d’arbres en Algérie pour un milliard de dollars sur 520.000 hectares. Ce projet va s’étaler une période de 10 ans.
La plantation de plus de 420 millions d’arbres en Algérie « permettra à Sonatrach de générer des crédits carbone, ce qui nous aidera à prouver que le produit algérien a une empreinte carbone très faible et qu’il aura une plus grande valeur sur le marché international », a déclaré le PDG du géant algérien des hydrocarbures, Rachid Hachichi, le 11 décembre lors de la signature d’un protocole accord avec la Direction générale des forêts sur cette opération de reboisement, la plus importante dans l’histoire du pays.
En plus du boisement, la stratégie de Sonatrach pour réduire son empreinte carbone repose aussi sur la réduction du torchage, l’introduction progressive des énergies vertes.
« Le gaz a un avenir dans la transition énergétique, nous devons nous assurer qu’il soit produit dans les meilleures conditions et le respect de l’environnement. Il s’agit notamment de la réduction des différentes émissions de CO2, de méthane. Il s’agit d’aller vers des solutions de compensation pour atténuer les effets de ces émissions sur l’environnement », a expliqué en juillet dernier le directeur central HSE au Groupe Sonatrach, Ouamer Abdelkrim, dans un entretien à la Radio algérienne.
La stratégie de Sonatrach pour réduire son empreinte carbone se décline en trois grands axes : réduction des « émissions fugitives, y compris le torchage », « efficacité énergétique » et « compensation de tout ce qui est consommation », a énuméré le même responsable. L’objectif est d’ « atteindre l’équilibre entre nos émissions à l’horizon 2050 », a ajouté M. Ouamer.
Le géant gazier algérien a déjà pris « l’engagement de réduire à -1 % le torchage en Algérie, selon le même responsable. La réduction de torchage a commencé il y a 30 ans. Depuis 2020, la baisse est de 28 % depuis 2020, ce qui équivaut à un milliard de standard de mètres cubes ».
À cela, s’ajoute l’introduction progressive des énergies vertes comme « l’hydrogène vert où nous sommes au stade pilote » et le « solaire qui est déjà introduit au niveau de nos installations », poursuit M. Ouamer.
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