Une transition douce mais pas de rupture qui évoque toujours la notion de douleur. C’est l’issue qui se dessine maintenant que la solution constitutionnelle défendue avec hargne par le chef de l’état-major de l’armée indique une impasse.
La politique étant l’art du compromis ou du possible, le général Gaïd Salah semble se résoudre à abandonner l’enfermement dans le cadre de la seule Constitution.
Paradoxalement, c’est la sacralisation très opportune de la loi fondamentale qui risque de le faire apparaître comme un putschiste puisque la rue n’en veut pas. En fait la Constitution de 2016 est un champ de mines que Bouteflika a mis en place pour se protéger et étouffer l’idée même de lui succéder. Il se voyait comme un président à vie est s’est taillé une Constitution lui donnant des pouvoirs de monarque. Il fallait tuer toute ambition de lui succéder.
Sa chute a d’ailleurs confirmé qu’il n’avait même pas prévu de dauphin, dût-il s’appeler Saïd Bouteflika. Le costume se serait de toute façon révélé trop grand pour le frère, un homme sans envergure, plus habitué à raser les murs qu’à briller de sa faconde quand il était étudiant, puis en tant qu’enseignant à l’USTHB où il était de même adhérent au syndicat de l’enseignement supérieur. Saïd Bouteflika aurait bien continué à jouer un rôle de grand chambellan, doté de tous les pouvoirs mais ne répondant d’aucune responsabilité.
Exit donc les Bouteflika suivis de Bélaïz, leur muraille constitutionnelle, et sans doute bientôt de Bensalah dont on a vu le malaise ostensible à s’installer dans le bureau de celui dont il a été l’obligé. Aujourd’hui, c’est le général Gaid-Salah qui apparaît de fait comme le chef de l’État. Il ne fait rien pour dissimuler ce rôle puisque sa parole est attendue aujourd’hui comme un oracle.
Sa dernière intervention l’a encore ramené dans le giron du peuple après une manifestation émaillée d’incidents. Ce qui a laissé croire à un durcissement des positions. En attendant que les violences de vendredi dernier livrent l’identité de leurs auteurs puisque la DGSN a démenti le tir des gaz lacrymogènes dans le tunnel des Facultés, le chef de l’état-major s’est engagé à protéger les prochaines manifestations.
C’est la preuve que les marcheurs comptent dans l’équation politique. Jusqu’à quel niveau? Certainement jusqu’au seuil de cette deuxième République que les citoyens sont nombreux à appeler de leurs vœux. Mais sûrement jusqu’à la fin des 2B restants.
S’il est difficile d’identifier avec précision les protagonistes de la négociation en cours et dont le général Gaid Salah n’est que l’une des voix, il semble que l’idée d’une présidence collégiale se rapproche du consensus. Comme en 1992, après la démission de Chadli Bendjedid et l’impossibilité de le remplacer dans le cadre prévu par la Constitution, une présidence collégiale est appelée à être mise en place pour assurer la transition.
Qui en sera membre? Qui la nommera ? Là est toute la difficulté. En faisant le choix de l’horizontalité, le mouvement populaire n’a pas engendré ses propres dirigeants. Les sondages informels effectués sur les réseaux sociaux ont plébiscité des figures comme Mutapha Bouchachi, Karim Tabbou, Zoubida Assoul… Mais chacun a trouvé ses contempteurs.
Au centre de ce jeu, l’armée va opter pour une transition douce avec des opposants issus du système qu’ils ont fini par répudier. Les noms de Mouloud Hamrouche, d’Ahmed Taleb Ibrahimi, adversaires de Bouteflika en 1999, d’Ahmed Benbitour, son ancien Premier ministre qui lui a jeté sa démission, tiennent la barre. Ils ont l’avantage de connaître le système sans être animés du désir de l’effrayer. Ils ont aussi une réputation de probité que ne peuvent pas revendiquer ceux qui ont longtemps frayé avec le « bouteflikisme ».