Le Dr Mohamed Bekkat Berkani, président du Conseil de l’ordre de médecins et membre du comité scientifique de suivi de la Covid, explique les raisons du rebond du Covid-19 en Algérien, et déplore le retard pris dans la vaccination. Pour éviter une 3e vague de l’épidémie, le Dr Bekkat Berkani appelle à revenir en urgence aux fondamentaux que sont les gestes barrières délaissés par la population.
Les contaminations au Covid-19 progressent nettement en Algérie avec en sus l’apparition de nouveaux variants. Comment en est-on arrivé à cette situation ?
On assiste à une offensive des contaminations à partir des variants qui sont contagieux et graves et dont nous ignorons la « quantité » dans notre pays. Du fait qu’on n’a pas les moyens de quantifier.
Trouver un variant, c’est bien, mais faire une enquête épidémiologique, c’est mieux, afin de connaître le degré de progression des nouveaux variants. Pour revenir à la situation épidémiologique, cette offensive des contaminations était attendue d’autant qu’elle est aggravée par le comportement de nos concitoyens qui ont tendance à oublier que le virus est toujours parmi nous, et qu’on a affaire à un virus qui probablement a muté et est plus dangereux que l’originel. Il faut par conséquent s’en tenir plus que jamais aux gestes barrières, surtout pendant ce mois de ramadan.
Le second aspect relève d’un problème de communication de la part des autorités qui n’ont pas mis l’accent sur le fait qu’il faut être vigilant.
On aurait dû répéter les mesures de précaution. D’autant que la rumeur a souvent tendance à l’emporter sur la réalité, et ce, dans la mesure où pas mal de citoyens croient que l’Algérie a réglé le problème du Covid-19.
Le troisième aspect tient au retard dans la vaccination dont nous commençons à payer les conséquences.
Vous abordez à juste titre le retard de la vaccination qui est pratiquement à l’arrêt. Quelle en est, selon vous, la raison ?
Elle est à l’arrêt par manque de vaccins. Il y a quelques dizaines de milliers de doses du vaccin AstraZeneca qui a été boudé. Cela s’explique par un manque de communication.
Il faut que les Algériens puissent être persuadés que l’AstraZeneca est le plus utilisé dans le monde et que le bénéfice-risque est absolument très intéressant. Et qu’il n’y a donc pas de danger à se faire vacciner avec ce sérum.
Par ailleurs, nous sommes en train d’attendre l’arrivée d’hypothétiques de vaccins. Le Premier ministre Abdelaziz Djerad a répété son injonction et donné instruction à l’Institut Pasteur d’Algérie (IPA) de s’occuper de l’achat des vaccins, alors qu’en fait cela relève du ministère de la Santé. C’est là un aveu d’échec de ce ministère.
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L’Algérie a dégagé une enveloppe de près de 100 millions de dollars pour acheter des vaccins. Cette enveloppe est-elle suffisante ?
Bien sûr qu’elle est suffisante. Mais le problème n’est pas tellement l’argent. Il s’agit de trouver le vaccin dont le marché s’est considérablement rétréci. L’Algérie n’a pas été à la hauteur quand il a fallu acheter les vaccins, pendant l’été dernier. En juillet-août, lorsque toutes les nations avaient passé des commandes, lorsque des pays ont payé rubis sur ongle et que les États-Unis avaient même avancé de l’argent au laboratoire Pfizer, l’Algérie s’était mise dans une position attentiste.
Rappelez-vous les propos du ministre de la Santé qui avait dit qu’on était en train d’observer une attitude prudentielle. Eh bien, cet accès de prudence, nous sommes aujourd’hui en train de le payer.
Quel est le scénario que vous craignez aujourd’hui ?
Écoutez, on ne peut pas faire de prospective exacte. Mais il semblerait qu’il y ait plusieurs conjonctions d’éléments. Tout d’abord le fait que nos concitoyens pensent qu’ils sont dispensés des moyens de protection classiques ; qu’au regard des chiffres qui sont transmis quotidiennement l’épidémie s’est stabilisée en Algérie par miracle.
Alors que le miracle n’existe pas. La preuve est qu’à la faveur des concentrations des populations, en particulier à l’occasion du mois de ramadan durant lequel les marchés et les magasins sont bondés de monde, tout le monde a délaissé ne serait-ce que la bavette alors que son port est une obligation légale. Partout, on n’en parle plus comme si on avait tourné la page.
Il est évident qu’aujourd’hui, il y a un risque véritable surtout avec l’apparition de ces nouveaux variants qui ont tendance à se transmettre plus facilement.
Ce qui fait qu’on assiste actuellement à une petite remontée des contaminations. Pour éviter le scénario catastrophe, il faut reprendre l’initiative…
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Comment ?
Tout d’abord en matière de communication. C’est important. Une communication comme celle que fait l’IPA en disant voilà on a découvert tel nombre de variants dans telle ou telle autre région ou étaler le bilan quotidien, ce n’est pas suffisant.
Il faut marteler encore et encore vis-à-vis de la population l’obligation de revenir aux fondamentaux qui, par ailleurs, nous ont donné de bons résultats dans un passé récent.
L’Algérie a pris des mesures extrêmes en se confinant intérieurement et même vis-à-vis de l’extérieur, mais qui nous ont préservés contre les vagues successives que d’autres pays dans le monde ont connues.
Même si ces mesures l’ont été au détriment de l’économie et des aspects sociaux et que nous payons chèrement ne serait-ce que par rapport à notre émigration et tous les Algériens qui ne peuvent pas se déplacer pour des études ou pour cause de maladie.
C’était un grand sacrifice, mais nous sommes arrivés à des résultats probants. Seulement, il faut les consolider.
De quelle façon ?
En ramenant les citoyens à respecter des mesures barrières. Les autorités sont, elles aussi, interpellées pour faire respecter la loi. Il y a lieu également d’essayer par tous les moyens de trouver les vaccins.
Politiquement, l’Algérie doit s’impliquer. On a eu après l’intervention du Premier ministre quelques doses, mais là elles ne suffisent guère.
L’Algérie a commis l’erreur fondamentale de s’appuyer sur le système Covax (mécanisme créé par l’OMS), alors que les enveloppes financières étaient dégagées depuis longtemps. Et le président de la République avait dit dès le début qu’il ne reculait pas devant la dépense sur les vaccins…
Face à une évolution inquiétante de l’épidémie, plaideriez-vous pour un confinement strict ?
Le confinement total ou partiel, par wilayas ou par régions, c’est l’arme de dernier recours. Cela voudra dire qu’on a échoué à convaincre la population à respecter les mesures barrières, mais surtout à les y obliger.
Le confinement en lui-même serait un échec de toutes les mesures prises précédemment. Aujourd’hui, les prémices d’une 3e vague de la Covid-19 sont là.
Les services hospitaliers ont tendance à être engorgés de plus en plus. Cela était prévisible avec le relâchement total. Il faudra peut-être prendre des mesures extrêmes.
Tout est envisageable. Le confinement signifierait aussi un échec en matière de vaccination. Je vous signale que l’objectif, c’est de vacciner le maximum de personnes pour arriver à une immunité collective. L’ambition affichée consistait à vacciner 20 millions d’Algériens. À ce rythme (de la vaccination), l’épidémie aura disparu sans que nous ayons pu réaliser cet objectif.
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