Le Dr Lyes Merabet, praticien de santé publique et président du Syndicat national des praticiens de santé publique (SNPSP), qualifie de « très timide » la communication institutionnelle autour de la campagne de vaccination contre la Covid, et s’inquiète du retard dans la réception des lots commandés notamment auprès des Russes.
L’Algérie n’a toujours pas lancé sa campagne de vaccination anti-Covid. Un commentaire ?
En fait, on attend de disposer du produit (vaccin). On attend que les premiers lots de vaccins arrivent pour pouvoir les distribuer et les mettre à la disposition des professionnels de la santé.
On espère pouvoir commencer avant la fin de ce mois de janvier. Il faut rappeler qu’on est le 17 (interview réalisée hier dimanche, ndlr) du mois et que notre campagne vaccinale n’a pas encore démarré.
En matière de communication autour de cette campagne de vaccination, quel constat faites-vous ?
Elle se fait de manière vraiment très timide. On donne l’impression qu’on n’est pas sûr de soi, on est en train d’avancer des délais et des échéances, et même beaucoup de suppositions au nom de responsables. Or, lorsqu’on s’exprime en tant que responsable, je pense qu’il faut être formel, affirmatif et précis.
Lorsqu’on entretient ce genre de communication avec la population, elle ne fera que renforcer la méfiance et rendre complexe l’entreprise de persuasion pour la vaccination.
Quelle devrait être, selon vous, la manière d’aborder cette campagne vaccinale en termes de sensibilisation et de vulgarisation ?
Pour la réussir, il y a lieu d’expliquer la démarche et les objectifs assignés à l’intention des professionnels de la santé et pour le large public dont la population ciblée par la vaccination. Et ensuite aborder la logistique et les moyens à déployer. Cependant, le nœud gordien demeure la disponibilité du vaccin.
Nous sommes quelque peu désavantagés par rapport à d’autres pays, puisqu’on est tributaires des autres en matière de vaccins. On a passé commande mais on ne sait toujours pas si les doses du vaccin vont arriver régulièrement pour que la campagne de vaccination contre la Covid-19 puisse se faire correctement.
De plus, on doit respecter les délais. Il y a deux injections à administrer pour chaque patient, aussi bien pour le vaccin russe que le chinois, et ce à un intervalle de 3 semaines (21 jours).
Autrement dit, il faudra non seulement assurer la première dose à la personne à vacciner mais aussi assurer la dose de rappel dans les délais escomptés.
La problématique, à mon sens, est dans la disponibilité du vaccin, et en quantités suffisantes pour que, une fois la campagne lancée, on ne connaisse pas de mauvaises surprises. Notamment si l’on doit s’arrêter en cours de chemin tout simplement parce que les autres doses ne sont pas arrivées.
Le gouvernement ne s’est-il précipité en avançant la date du début de la vaccination, avant d’assurer un stock de vaccins au moins pour commencer les premières injections ?
Je pense que ce n’est pas aussi simple. Nous sommes dans un contexte mondial où il y a une pression terrible sur les commandes de vaccins, tous les pays sont pratiquement à l’affût.
Tout le monde veut ses quantités et démarrer sa campagne de vaccination le plus tôt possible. A ce moment-là, les relations internationales entrent en jeu. Il ne suffit pas d’avoir de l’argent pour acheter, je pense qu’il y a d’autres éléments à prendre en considération…
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Pourtant, l’Algérie se prévaut d’entretenir d’excellentes relations avec la Russie et la Chine. Pourquoi ne pas jouer sur ce levier ?
Honnêtement, je ne peux pas expliquer pourquoi les vaccins ne sont pas encore arrivés. Mais je sais qu’il y a une pression sur tous les producteurs.
Un laboratoire comme Pfizer, un géant dans le domaine pharmaceutique, a reconnu, il y a 48h, qu’il aura des difficultés à tenir ses engagements par rapport aux pays qui ont passé commande de son vaccin (à ARN Messager). C’est la même chose pour la Chine et la Russie.
Un pays comme la Chine a pour souci de satisfaire d’abord la demande locale, déjà grandiose, et ensuite satisfaire les commandes formulées par d’autres pays. C’est valable pour la Russie.
Le président russe a d’ailleurs annoncé une campagne de vaccination massive dans tout le pays. Effectivement, nous avons de très bonnes relations avec ces deux pays mais la pression est ce qu’elle est en matière de commandes notamment au niveau interne.
En tant que professionnels de la santé, êtes-vous prêts pour cette campagne ?
Sur les plans organisationnel et logistique, honnêtement il n’y a pas grand-chose à faire. Premièrement, le type de vaccin qui a été choisi est de conception conventionnelle qu’on connaît ; c’est pratiquement comme beaucoup de vaccins que nous utilisons chez nous depuis des dizaines d’années.
Les moyens de stockage et de déplacement, de transport et d’expédition obéissent aux mêmes règles et schémas que les autres vaccins. Et là aussi c’est un avantage. Nous avons un personnel qui est rodé.
Toute cette organisation existe depuis des années, il y a un véritable capital expérience. La spécificité peut-être est que nous sommes dans une situation pandémique, nous avons affaire à un nouveau virus et donc un nouveau vaccin.
Le schéma organisationnel demeure le même, il faudrait éventuellement faire attention aux effets secondaires ou ce qu’on appelle les manifestations post-vaccinales immédiates (MPVI).
Et c’est pourquoi, il est recommandé après chaque acte vaccinal de laisser sous observation, au moins dans la salle où la vaccination a été effectuée, la personne vaccinée, au moins pendant 20 à 30 minutes, pour voir s’il y a une réaction immédiate post-vaccinale.
Le Pr Senhadji a indiqué, dimanche, dans une interview à TSA, qu’étant donné qu’on a affaire à une maladie nouvelle, une «mise à jour » en matière de formation était nécessaire pour les professionnels de la santé en charge de la vaccination. Qu’en pensez-vous ?
Il a raison de dire que ce sera une mise à jour. Lorsqu’on lance ce genre de campagnes, c’est une occasion de rappeler aux professionnels chargés de cette campagne de vaccination les gestes essentiels.
Même si nous sommes dans le domaine vaccinal depuis des années, on est rôdé et des réflexes se sont installés, il reste bon de rappeler qu’il y a une période de mise en observation après chaque acte vaccinal.