L’opposition au Venezuela a appelé à de nouvelles manifestations ce jeudi après avoir promis « la mère de toutes les manifestations » contre le successeur d’Hugo Chavez, Nicolas Maduro. Le pays traverse une crise politique et économique majeure. Retour en cinq points sur les causes de cette forte contestation.
Les manifestations se multiplient entre les opposants et les partisans de Nicolas Maduro. Deux étudiants ont été tués par balle mercredi et un militaire a été abattu lors des mobilisations ce mercredi 19 avril. Le pays traverse une crise économique et sociale sans précédent.
Des membres de l’opposition ont été chargés par les forces de l’ordre lors des manifestations à San Cristobal. Plus de 400 personnes ont été arrêtées mercredi dans tout le pays, selon l’ONG Penal Forum. Crédits : REUTERS/Carlos Eduardo Ramirez.
1/ Une économie asphyxiée par une forte dépendance au pétrole
Comme d’autres pays tels que l’Arabie Saoudite, l’Algérie, ou le Nigéria, l’économie du Venezuela repose principalement sur le pétrole. Le pays a pu profiter de cette rente pétrolière qui a représenté 95% des ses exportations totales des années durant. Mais l’économie s’est détériorée depuis la mort d’Hugo Chavez en mars 2013. La baisse des prix de l’or noir au niveau mondial a entraîné une chute vertigineuse des revenus extérieurs du pays sud américain. Et comme le Venezuela n’a pas diversifié son économie, le pays s’est retrouvé au bord de l’asphyxie comme le rappelait à France TV Info Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques et spécialiste de l’Amérique latine.
« Le problème de fond du Venezuela, c’est la monoculture pétrolière […] Le pays n’a pas anticipé la baisse du cours du pétrole, la chute de la demande chinoise… Et n’a jamais cherché à diversifier son économie ».
Par ailleurs, le manque des investissements, le vieillissement des infrastructures et la hausse de l’endettement de la plus grande entreprise pétrolière d’Etat PDVSA ont accéléré la baisse de rentabilité de l’or noir. Enfin, les Vénézueliens ont dû faire face à une crise de liquidités qui a plongé le pays dans le marasme économique.
| Lire aussi : Au Venezuela, les nouveaux billets toujours introuvables dans la rue
2/ Une hyperinflation record et une baisse inquiétante de la croissance
L’inflation bat des records au Venezuela. La banque centrale et l’institut de statistiques ne fournissent plus de données sur l’inflation et le produit intérieur brut depuis fin 2015. Mais les projections du FMI sont alarmantes. Selon l’institution internationale, la hausse de l’indice des prix à la consommation dépasse les 700% en rythme annuel.
Concernant le PIB, le taux de croissance est négatif depuis 2014 et l’activité pourrait repartir mais pas avant plusieurs années selon les projections du FMI. Selon l’économiste Jose Manuel Puente qui travaille à l’ Institute of Advanced Studies in Administration à Caracas, « cette année, les chiffres du Venezuela sont pires que pour des économies en temps de guerre ». D’ailleurs au mois de janvier dernier, le président Maduro avait annoncé dans les colonnes de Bloomberg que « 2016 avait été l’année la plus dure, la plus longue et la plus difficile que nous avons connue ».
3/ Des pénuries alarmantes
Outre la crise économique, le pays doit faire face à des pénuries de médicaments qui se sont aggravées au fil de la détérioration économique du pays. Dans le contexte d’une telle inflation, de nombreux médicaments allant de simples anti-inflammatoires aux traitements de chimiothérapie sont devenus inabordables pour la plupart des Vénézuéliens comme le souligne Reuters.
La fédération pharmaceutique vénézuélienne estime que les Vénézuéliens sont privés d’environ 85% de la gamme des médicaments. Pour faire face à la demande, le président Nicolas Maduro a demandé il y a quelques semaines aux Nations unies de l’aider. « Je leur ai demandé leur soutien pour continuer à faire des progrès permanents dans la régularisation des médicaments pour les hôpitaux » a-t-il expliqué à l’agence. La dette de l’Etat envers le secteur pharmaceutique s’élève à environ 5 milliards de dollars. Et les pénuries ont entraîné une explosion du nombre de décès chez les nouveaux-nés.
| Lire aussi : Venezuela : la mortalité infantile dépasse celle de la Syrie
Par ailleurs, la pénurie alimentaire a poussé des dizaines de milliers de Vénézuéliens à entrer en Colombie pour s’approvisionner en vivres et produits de première nécessité. A l’été dernier, la sous-direction du contrôle des migrations du gouvernement colombien avait indiqué que « la réouverture progressive de la frontière en cinq points, plus de 127.000 Vénézuéliens étaient entrés en territoire colombien en trois jours » rapporte l’agence Belga.
4/ Une escalade de la violence
Selon un rapport de l’observatoire vénézuélien de la violence publié fin 2016, le pays d’Amérique latine serait le deuxième Etat le plus violent au monde après le Salvador avec un taux d’homicides estimé de 91,8 pour 100.000 habitants. Selon Roberto Briceño Leon directeur de l’observatoire interrogé par RFI, « les pays comme la France, l’Espagne ou l’Italie sont à un homicide pour 100.000 habitants. Le Venezuela a un taux d’homicide 90 fois plus important ». Et la crise économique amplifie les recours à la violence, ajoute-il.
« Cette année nous avons également observé une augmentation des vols et des cambriolages ainsi que des agressions et des meurtres liés au manque de nourriture […] La recherche d’aliments a provoqué des conflits et des affrontements lors de pillages. La rareté des produits et les prix très élevés ont provoqué des saccages, et les exactions pour pouvoir survivre à ces situations se sont multipliées. »
Et les choses ne risquent pas de s’arranger. A la veille de la grande manifestation prévue mercredi dernier, le président vénézuélien Nicolás Maduro a annoncé qu’il voulait armer un million de civils. Cette initiative vise à renforcer les rangs de la milice nationale bolivarienne pour pouvoir contrer toute tentative de coup d’Etat.
5 / Une dangereuse crise politique
Les manifestations qui ont eu lieu cette semaine reflètent la complexité de la crise politique qui traverse le pays depuis des années. Le modèle dirigiste mis en place par le président d’Hugo Chavez entre 1999 et 2013 a trouvé ses limites en plongeant le pays dans une impasse politique et institutionnelle comme l’a bien expliqué la chargée de recherches au CNRS Paula Vasquez à France Info :
« Il faut bien comprendre que la crise dépasse largement celle de la chute du prix du baril de pétrole. L’État est en faillite. Ce qui s’effrondre actuellement au Venezuela, c’est tout le modèle socio-économique et politique mis en place par Hugo Chávez. La crise est la conséquence de quinze ans de politiques socio-économiques extrêmement dures, qui ont aujourd’hui de lourdes conséquences sur la population vénézuélienne. »
Par ailleurs, l’actuel président Nicolas Maduro s’accroche au pouvoir par tous les moyens malgré la large victoire de l’opposition aux élections législatives en décembre 2015. La Table de l’unité démocratique (MUD), qui est une vaste coalition d’une trentaine de partis, avait remporté 99 sièges sur 167 au Parlement monocaméral. Les chavistes n’avaient donc plus que 46 sièges. Mais l’alternance politique est freinée par le chef d’État qui semble vouloir repousser régulièrement de nouvelles élections ou la tenue d’un référendum autorisé par la Constitution. Le texte permet d’enclencher le processus de révocation du président.
L’autre enjeu au niveau politique régulièrement évoqué par les spécialistes est le rôle de l’armée. A l’heure qu’il est, le gouvernement en place ne semble pas menacé par les militaires qui « accaparent de plus en plus le pouvoir politique, mais aussi économique » selon Gabriel Estrada, directeur exécutif de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes de Sciences Po. Mardi dernier, le chef des armées et le ministre de la Défense ont renouvelé leur loyauté au président. Si les représentants de l’armée décident de s’allier à l’opposition, le pouvoir en place pourrait être sérieusement menacé.
>> Pour aller plus loin, Relire l’entretien avec Juan Carlos Rodado, économiste spécialiste de l’Amérique latine pour la banque Natixis : « Au Venezuela, ce sont les militaires qui gèrent le pays »
Plus d’information sur l’économie et la finance sur latribune.fr