La situation de l’économie algérienne analysée par Xerfi , un institut privé français.
C’est principalement la jeunesse algérienne qui porte actuellement la contestation dans le pays. Alors qu’avec le souvenir de la guerre civile leurs aînés se gardaient bien de participer à tout ce qui était contestations politiques, la nouvelle génération née après 1999 n’a pas connue la décennie noire et n’a pas peur de s’exprimer.
Au-delà même du manque de démocratie, elle manifeste aussi un profond malaise économique et social : selon les chiffres de l’Office National des Statistiques algérien, 29% des jeunes de 16 à 24 ans étaient au chômage en septembre 2018, c’est plus du double de la moyenne nationale et si les chiffres de 2019 ne sont pas encore connus, ils devraient connaître une nette détérioration d’après les déclarations alarmantes faites en novembre dernier par le président du Forum des chefs d’entreprise, la principale organisation patronale du pays. En outre, sur les 1,5 million de chômeurs algériens, 408.000 soit quasiment 28% sont diplômés de l’enseignement supérieur et 386.000 de la formation professionnelle, soit 26%. Plus d’un chômeur sur deux est donc diplômé.
L’Algérie, n’est pas un pays qui a verrouillé l’accès au supérieur. Bien au contraire, il y a des universités dans toutes les wilayas (l’équivalent des départements), beaucoup d’argent investi et beaucoup de boursiers sont envoyés à l’étranger. Le savoir reste aussi un facteur important de valorisation dans les familles mais le marché du travail n’est tout simplement pas adapté. La faute d’abord à un secteur public en déliquescence. Les entreprises publiques qui génèrent encore près de la moitié de la valeur ajoutée industrielle sont moribondes. En 2018, le niveau de la production manufacturière publique représentait à peine plus de la moitié de celle de 1989, quant au taux d’utilisation des capacités de production, il montre une sous-utilisation structurelle des installations.
Or, cette désindustrialisation publique n’a été que très partiellement contrebalancée par le privé. Un secteur privé trop petit qui peine à se développer : poids de l’administration, de la corruption et du lobby des importateurs bloquent son développement. Principalement présent dans les activités peu ouvertes à la concurrence internationale, le tissu productif privé est en fait composé à 90% de microentreprises à caractère familial qui opèrent bien souvent dans le secteur informel. Quant aux grandes sociétés privées, elles sont peu autonomes, le plus souvent liées à l’appareil politique et à l’armée avec qui elles entretiennent des relations parfois douteuses. Le procès pour corruption de deux anciens premiers ministres, de plusieurs ministres et hommes d’affaires emblématiques montre à quel le système est gangrené de l’intérieur.
Tant que la rente pétrolière et gazière permettait d’acheter la paix sociale à coûts de subventions, tout le système tenait. Mais c’est un système construit sur la seule performance du secteur des hydrocarbures, donc de leurs cours. Il suffit donc que les prix du Brent, pris comme proxy de l’ensemble des prix internationaux des hydrocarbures chutent, pour que le solde courant vire au rouge. Or, les cours ont commencé à devisser en 2014, année où il sont passés de près de 110 dollars en janvier, à 60 en décembre. 2014, année où le solde courant algérien a entamé sa descente aux enfers. 2014-2019, ce sont donc six années de plomb du jamais vu depuis le début des années 80 et 2020 ne s’annonce pas mieux. A ce rythme-là, les réserves de changes s’épuisent très vite, passant de 194 milliards de dollars en 2013 (soit l’équivalent de 3 années et demie d’importations) à moins de 80 en 2018 (soit moins de 2 années d’imports).
A cette vitesse, les caisses seront rapidement vides. Or les réserves de change sont vitales pour un pays dont la monnaie n’est pas convertible et dont l’accès au marché international des capitaux est limité ou inexistant. C’est donc un véritable mur qui se dresse devant le nouveau président, l’économie est en totale décompensation et l’argent du pétrole n’achète plus la colère.
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