Le festival du film de Berlin ausculte cette année la face sombre de l’Europe de l’Est avec des films jetant une lumière crue sur les anciens pays communistes et leurs mouvements extrémistes et racistes.
“Isolement, refus de partager, rejet des valeurs libérales” et du projet européen, “c’est une vision qui gagne les anciens pays de l’Est”, affirme à l’AFP le réalisateur tchèque Jan Gebert, auteur de “When the war comes” (“Quand la guerre arrive”), documentaire glaçant sur un groupe paramilitaire slovaque, présenté à la Berlinale dans la section Panorama, qui regroupe les productions d’art et essai et les films indépendants.
Pendant trois ans, de 2015 à 2018, ce documentariste et journaliste de 37 ans a filmé la montée en puissance des “recrues slovaques” (“Slovenskí Branci”), l’un des principaux groupuscules d’extrême droite du pays.
Sorte de milice sans statut légal, elle a été fondée par Peter Švrcek, un étudiant en archéologie propre sur lui d’une vingtaine d’années qui a su fédérer jusqu’à 200 jeunes hommes, souvent issus de la classe moyenne, pour leur faire suivre, dans les bois et en marge de leur vie “civile”, un entraînement militaire, armes désactivées mais bien réelles au poing.
– ‘Sang slave’ –
Leur idéologie? Primat du “sang slave”, ultranationalisme, haine des réfugiés et des étrangers, rejet de l’Europe et de ses valeurs, désir d’un Etat fort sur le modèle de la Russie de Vladimir Poutine. Leur but? Freiner “l’invasion” des migrants, et soigner une “société slovaque malade”.
“On dirait que l’Europe doit à nouveau prendre des leçons de morale”, se lamente Árpád Bogdán, réalisateur hongrois d’origine Rom de 37 ans, qui présente lui son deuxième long métrage de fiction, “Genesis” (“Genèse”), dans la même section.
Le film, très poignant, s’inspire d’une série d’attaques racistes contre des Roms en 2008-2009 en Hongrie durant laquelle six personnes — des hommes, des femmes et un enfant de 5 ans — ont été tuées.
“Genesis” montre comment un drame xénophobe qui parait circonscrit à une minorité radicalisée touche en réalité toutes les couches de la société.
Le film est inspiré de faits survenus en Hongrie mais “ce n’est pas un film hongrois”, insiste Árpád Bogdán. A ses yeux, la violence et le “mal” montrés dans “Genesis” existent ailleurs en Europe, y compris à l’Ouest comme l’Allemagne par exemple où les attaques contre les demandeurs d’asile se sont multipliées après l’arrivée de nombreux demandeurs d’asile.
“Beaucoup de choses inquiétantes se produisent en Europe”, juge le réalisateur hongrois dans un entretien avec l’AFP. A commencer par son pays, dirigé par le nationaliste Viktor Orban depuis 2010. Un pays “pas très agréable”, ajoute dans un sourire amer ce natif de Nagykanizsa.
– ‘Espoir’ –
En Europe, “il y a actuellement une atmosphère de peur”, lui fait écho Jan Gebert, en évoquant la peur des attentats, “les migrations, le Brexit, la crise de l’UE, le conflit ukrainien”.
Les mouvements comme les “recrues slovaques”, qui pullulent en Europe de l’Est, sentent bien que “l’histoire est de leur côté, que la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis ou des populistes” en Pologne, Hongrie ou République tchèque “les encouragent”, se désole le trentenaire.
Pour lui, ces groupes sont “la pointe visible de l’iceberg”, celle d’un phénomène qui travaille l’Europe de l’Est en profondeur et la fait “s’éloigner de l’Union européenne”.
Árpád Bogdán résume: “je suis optimiste en tant qu’artiste, pas en tant que Hongrois”. Mais le réalisateur croit malgré tout que les films peuvent “transformer la société parce qu’ils sont supposés enseigner l’espoir, c’est en tout cas le sens de Genesis”.