Le 12e vendredi a été un succès en termes de mobilisation, malgré le Ramadan et la chaleur. Quel enseignement tirez-vous de cette mobilisation ?
Chérif Dris, politologue. Malgré le Ramadan et en dépit de la chaleur, le fait que le gens soient sortis, même si en termes quantitatifs ils n’étaient pas aussi nombreux que les précédents vendredis, il reste que c’est encourageant et positif, en ce sens que cela dénote la détermination des citoyens à rester mobilisés. Ceci pour le premier enseignement.
Le deuxième enseignement a trait aux slogans qui tournent toujours autour de la demande d’un changement du système, le rejet des élections et le refus de voir le changement se faire par les anciens symboles du système. Il y a une certaine constance pour ce qui est des slogans, même si c’est vrai qu’il n’y a pas une certaine homogénéité entre ceux qui défendent les positions du chef d’état-major et les autres qui sont catégoriquement contre. Mais cela est resté très pacifique, il y a eu un débat contradictoire, lequel s’est traduit à travers ces slogans.
Ce qui ressort de la journée de vendredi c’est qu’il y a une détermination chez les citoyens à continuer à demander un changement du régime.
Ceux qui misaient sur l’essoufflement du mouvement ont certainement dû déchanter…
Vous savez, ce mouvement n’est pas conjoncturel. Le temps a démontré qu’il y a une lame de fond, quelque chose qui s’inscrit dans la durée. Ce qui est sûr c’est que les Algériens ont brisé une digue, à savoir la crainte de sortir dans la rue pour s’exprimer librement. Et même si le mouvement venait à s’essouffler ou que le nombre de manifestants devient moins important, les gens se sont réapproprié l’espace public de manière durable.
Dans un éditorial, publié samedi, le journal El Moudjahid, l’une des voix du régime, prévient que le gouvernement est déterminé à mettre « hors d’état de nuire » tous ceux qui entravent la tenue des présidentielles du 4 juillet. Quelle lecture en faites-vous ?
Faut-il encore déterminer les parties qui entravent les présidentielles ? Cela reste ambigu. Désigne-t-on par-là les personnes qui s’opposent à des présidentielles mais qui appellent à une transition démocratique ? Je crois que l’éditorial d’El Moudjahid reste ambigu même si le ton est menaçant. Maintenant, fait-on allusion à certaines personnes qui, du point de vue de l’état-major, complotaient contre l’Etat ? Pour l’instant rien n’est encore clair.
Ce qui est très important actuellement, c’est qu’il y a un rejet quasi-unanime de la part de la population quant à la tenue des élections le 4 juillet prochain. De la même manière, elle rejette ceux qui piloteront ce scrutin, en l’occurrence le chef de l’Etat Abdelkader Bensalah, et le premier ministre Noureddine Bédoui. Le consensus qui se dégage c’est qu’il y a un refus de la tenue des élections le 4 juillet.
Pourquoi un tel entêtement à tenir ce scrutin malgré le refus du peuple et de la classe politique ?
Le fait de vouloir tenir le scrutin le 4 juillet veut dire qu’il n’y aura pas de transition. La feuille de route que le chef de l’Etat veut faire passer c’est de dire aux Algériens que, finalement, il n’y aura pas de transition démocratique et pas de changement de régime. Il y a certes un changement de façade mais la matrice autoritaire qui constitue la quintessence du régime persistera.
Techniquement, le pouvoir peut organiser ces élections mais un processus de changement politique ne se réduit pas à un scrutin. Les élections ne sont finalement qu’un élément d’un processus de changement. Apparemment, certains veulent réduire le changement à l’organisation du scrutin et aller le plus vite vers le 4 juillet tout en sachant que, politiquement parlant, ce sera une élection qui n’aura aucune plus-value.