Dans quelle case faut-il mettre les dernières arrestations d’hommes d’affaires ? Le pouvoir et ses relais médiatiques tentent de les présenter comme une opération mains propres salutaire et une réponse à la soif de justice du peuple qui réclame chaque vendredi dans la rue que tous ceux qui ont enfreint la loi de par leur proximité avec les centres de décisions rendent des comptes. Mais l’exercice est difficile pour plus d’une raison.
D’abord, il y a cette précipitation des nouveaux tenants du pouvoir à ouvrir de tels dossiers alors que la transition politique n’est même pas entamée. Le bon sens aurait voulu que les comptes soient faits dans la sérénité après l’émergence de nouvelles instances dirigeantes légitimes et une fois l’indépendance de la justice réellement recouvrée.
La justice transitionnelle a fait ses preuves par le passé dans des pays sortant de guerre ou d’un régime autoritaire, mais elle a toujours constitué un couronnement du processus de changement. Pourquoi vouloir faire vite au risque de bâcler des dossiers plus que complexes, alors que des ISTN auraient suffi pour garantir que tout le monde rende des comptes ultérieurement ?
Les plus sceptiques n’ont pas tout à fait tort de crier aux règlements de comptes claniques. La sélectivité dont fait preuve jusque-là la justice est un autre signe qui ne rassure pas. Des hommes d’affaires et des personnalités – dont des anciens généraux – dont les noms reviennent régulièrement dans les scandales de corruption depuis quelques années et qui n’ont jamais caché leur proximité avec l’entourage de Bouteflika, ne sont, pour l’heure pas inquiétés.
On préfère commencer par un industriel qui, justement, s’est toujours plaint du blocage de ses projets pendant le règne du président déchu. Et que reproche-t-on, à Issad Rebrab ? D’avoir surfacturé des importations d’équipements industriels. S’il est évident qu’un tel délit doit être puni, que son auteur soit Rebrab ou quelqu’un d’autre, il n’en reste pas moins qu’il n’est en rien comparable aux crimes dont a parlé le chef d’état-major de l’armée, œuvre de « certaines personnes ayant bénéficié indûment de crédits estimés à des milliers de milliards, causant préjudice au Trésor public et dilapidant l’argent du peuple ».
Ces personnes sont peut-être les prochaines sur la liste, mais le fait de commencer par le fondateur de Cevital est un signal qui a été très mal perçu par l’opinion. Sur les réseaux sociaux, on se demande si Issad Rebrab ne paye pas pour ses positions politiques. On rappelle par ci ses relations supposées avec l’ancien chef du DRS qui a été publiquement mis en garde il y a quelques jours par le chef de l’armée, par là son engagement dans le mouvement populaire contre le système en place. Certains internautes relèvent surtout que beaucoup parmi ceux qui ont été inquiétés jusque-là ont comme point commun leurs origines kabyles.
On va jusqu’à soupçonner le pouvoir de vouloir de nouveau surfer sur la sensibilité de la région pour provoquer la division du mouvement populaire qui a uni tous les Algériens.
Même ceux qui estiment que Rebrab n’aurait pas pu bâtir sa fortune sans un peu de casse trouvent néanmoins suspecte l’attitude du pouvoir. Celui-ci ne doit s’en prendre qu’aux maladresses qu’il collectionne depuis quelques semaines. D’abord en tenant à ouvrir les dossiers de corruption dans une période loin d’être sereine, ensuite en montrant publiquement à la justice ce qu’elle doit faire, renforçant le sentiment largement partagé qu’elle fonctionne toujours à l’injonction.