Yacef Saâdi, l’homme de la Bataille d’Alger, est parti. L’un des derniers grands noms de la guerre de Libération nationale s’est éteint dans la nuit de vendredi 10 septembre 2021 à l’âge de 93 ans.
Près d’un siècle au service de la patrie. D’abord pour la cause de l’indépendance, puis pour l’écriture et la documentation de cette épopée à laquelle il a grandement pris part.
Né à la Casbah d’Alger en 1928, dans une famille originaire d’Azzefoun (Kabylie), Yacef Saâdi a rejoint le Parti du peuple algérien (PPA) dès 1945, à 17 ans.
Un parcours qui le mènera en autant d’années à faire partie de l’embryon de la lutte armée, l’Organisation spéciale (OS) en 1947, à côtoyer de nombreux chefs historiques de la révolution (Rabah Bitat, Larbi Ben’Mhidi, Krim Belkacem, Abane Ramdane…), à diriger la Zone autonome d’Alger, à encadrer les légendaires Ali la Pointe, Djamila Bouhired, Hassiba Benbouali et le petit Omar, son neveu, et à connaitre les geôles coloniales.
Le jeune Saâdi rejoint en 1945 le PPA, qui deviendra en 1947 le MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques). La même année il fait partie de l’organisation paramilitaire, l’OS.
Après le démantèlement de celle-ci, en 1950, il part en France. Revenu en Algérie en 1952, il reprend son métier de boulanger jusqu’en 1954, année charnière dans l’histoire du peuple algérien et de son parcours personnel.
Cette année-là, quelques mois avant le déclenchement de la lutte armée, son destin bascule lorsqu’il rencontre Rabah Bitat, l’un des six membres du CRUA (Comité révolutionnaire pour l’unité et l’action) qui chapeauteront le déclenchement de la révolution du 1er novembre 1954.
En 1955, il est envoyé en Suisse pour rencontrer les dirigeants de la révolution en exil. Arrêté et expulsé vers la France, il sera libéré en septembre de la même année.
Au lieu de servir d’informateur sur les réseaux du FLN, il deviendra au contraire un de fers de lance de la lutte armée dans la capitale. Il crée en 1955 le premier commando de la one autonome d’Alger, sous l’autorité de Abane Ramdane. La même année, il enrôle Ali la Pointe.
Durant toute l’année 1956, il s’attelle, en sa nouvelle qualité de responsable militaire de la Zone autonome d’Alger, à organiser le quartier populaire de la Casbah et la Bataille d’Alger qui connaitra son apogée en 1957.
Cette même année, en mars, il devient le chef de la Zone autonome après l’arrestation de Ben M’hidi. Les attentats à la bombe qui constituent les plus hauts faits d’armes du FLN dans la capitale entre fin 1956 et fin 1957, c’est lui et son réseau de moudjahidate.
Une mémoire qui n’a pas pris une ride
L’intervention des parachutistes du général Massu à partir de début 1957 a fait des ravages dans les rangs de la Zone autonome. Yacef Saâdi sera arrêté en septembre. Un mois plus tard, le dernier noyau dur est décimé. Ali la Pointe, Hassiba Benbouali, Mahmoud Bouhamidi et le petit Omar Yacef, neveu de Yacef Saâdi, refusent de se rendre et leur cache au 5, rue des Abderamès, à la Haute-Casbah, est dynamitée.
Yacef Saâdi sera condamné trois fois à la peine de mort. Il sera gracié en 1959, au même titre que tous les condamnés à mort en Algérie.
À l’indépendance, il retrouve la liberté et se consacre à la documentation des événements dont il a été témoin. À l’époque, il n’y avait pas mieux que le cinéma pour le faire.
Il crée une société de production qui produira l’un des chefs-d’œuvre di cinéma Algérien, la Bataille d’Alger, réalisé en 1966 par l’Italien Gillo Pontecorvo, dans lequel Yacef Saâdi joue son propre rôle.
Dès 1962, il commence, à publier ses mémoires, dont il a entamé l’écriture en prison. En plusieurs tomes, il reviendra par le menu détail sur les péripéties de la Guerre de libération, particulièrement de la Bataille d’Alger.
Durant les dernières années de sa vie, il a fait l’objet de nombreuses polémiques, notamment lorsqu’il a été accusé par l’assassin de Larbi Ben M’hidi, le général Paul Aussaresses, d’avoir révélé, lors de son interrogatoire, la cache d’Ali la Pointe.
Une version qui sera démentie par l’intéressé et d’autres témoignages, dont celui de l’historienne, réalisatrice et journaliste française Marie-Monique Robin qui révéla la véritable identité de celui qui a permis de repérer la cache du 5, rue des Abderamès.
Yacef Saâdi était aussi un féru de football dans sa jeunesse. Il a joué pour l’USM Alger, un club qu’il présidera dans les années 1970 et qu’il continuera à supporter jusqu’à son dernier souffle.
En près de 60 ans d’indépendance, il n’a presque jamais fait de politique, acceptant néanmoins le poste honorifique de sénateur dans le tiers présidentiel en 2001.
En 2016, il n’est pas reconduit après avoir suggéré au président Bouteflika de prendre sa retraite et aller se reposer. En 2019, il a exprimé son opposition au 5e mandat du même Bouteflika, alors que des millions d’Algérie descendaient dans la rue chaque vendredi pour réclamer le changement depuis le 22 février de la même année.
Contrairement à beaucoup de ses compagnons qui se sont contentés de publier leurs mémoires, Yacef Saâdi n’hésitait pas à intervenir dans le débat public, notamment sur les événements de la bataille d’Alger, montant à chaque fois au créneau pour rétablir des vérités et défendre la mémoire des hommes et des femmes qui ont servi sur ses ordres.
L’une de ses dernières interventions publiques, il l’a faite en 2018, sur TSA, pour démentir des contre-vérités propagées à propos de la moudjahida Fadila Attia, une employée du gouvernement général qui a rendu d’énormes services au FLN pendant la révolution.
Il avait 91 ans, mais sa mémoire n’avait pas pris une ride, ni sa détermination d’empêcher de sévir ceux qui se servent de l’Histoire pour régler leurs comptes politiques.