Yacef Saâdi, un des acteurs clés de la Bataille d’Alger, se dit surpris d’entendre que lui et son « groupe » auraient, au lendemain de l’indépendance, accusé de traîtrise de nombreux authentiques moudjahidine.
« Pour ce qui est de Salah Bouakouir, je ne l’ai pas connu, donc je ne peux apporter aucun témoignage sur ce qu’il aurait fait ou pas fait durant la révolution. Quant à Fadila Attia, j’ai entendu dire que mon ‘groupe’ l’a accusée de traîtrise et même arrêtée au lendemain de l’indépendance. Je n’en reviens pas devant une telle affabulation. Car il s’agit d’une authentique fidaiya, une poseuse de bombes, qui était dans mon groupe. On ne peut pas aujourd’hui dire que je l’ai accusée d’être une traitre pour la simple raison que je l’ai citée et souligné ses faits d’armes dans mon livre la Bataille d’Alger, Tome II, pages 116 et 261 », dit-il à TSA.
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« Fadila était employée au siège du gouvernement général et, de par sa position, elle rendait des services à la révolution en remettant des documents aux responsables du FLN, comme des copies d’avis de recherche de militants, jusqu’au jour où elle a commencé à devenir suspecte aux yeux de l’administration coloniale. Quand Zahra Drif est allée la voir chez elle, à El Biar, elle lui a dit qu’elle était prête à démissionner. Elle l’a ramenée et on s’était dit qu’on pouvait peut-être l’utiliser pour de petites tâches, mais quand on a vu qu’elle était réellement déterminée, on a décidé de lui confier des actions importantes, comme la pose de bombes. C’est elle-même qui a choisi le nom de guerre de Maicus, je ne sais d’ailleurs pour quelle raison. Mais c’est par ce nom qu’on l’a toujours appelée. Je lui ai confié l’attentat contre la brasserie ‘Cafeteria’, à la rue Michelet, l’actuelle rue Didouche, le 24 janvier 1957, et elle a accompli sa mission avec sang-froid », se souvient le chef de la zone autonome d’Alger.
Le recours aux bombes fut, selon Yacef Saâdi, une réponse aux ultras français qui avaient déposé 45 bombes dans les quartiers musulmans, comme l’attentat de la rue de Thèbes. « On s’était dit qu’il nous fallait fabriquer des bombes et on a réussi à le faire grâce à l’apport du chahid Taleb Abderrahmane. Par la suite, il nous fallait du ‘personnel’, de préférence des femmes à la physionomie européenne, qui ne pouvaient pas être suspectées et qui pouvaient passer facilement les points de contrôle. Parmi elles donc, il y avait Fadila Attia, une très belle femme », ajoute-t-il.
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La bombe déposée par Maicus faisait partie d’une opération concertée, destinée à créer un impact médiatique à une semaine de la fameuse grève des huit jours. « Je me suis dit qu’il fallait une action d’envergure. J’ai collecté des renseignements sur les bars des environs du centre-ville et j’ai opté pour trois cibles. Zahia Khalfallah fut chargée de déposer une bombe à l’Automatic, Fadila Attia à la Cafétéria et Djamila Bouazza au Coq hardi. Ces trois attentats avaient eu un énorme impact. Fadila était restée avec nous jusqu’à mon arrestation (en septembre 1957, ndlr). Depuis, je ne l’ai plus revue », témoigne Yacef Saâdi.
Le président de l’Association des anciens du MALG (Ministère de l’armement et des liaisons générales) et ancien ministre de l’Intérieur, Daho Ould Kablia, a plaidé la semaine dernière pour la réhabilitation de Salah Bouakouir, un ancien haut cadre de l’administration coloniale qui aurait rendu d’énormes services à la révolution. M. Ould Kablia a indiqué que beaucoup d’authentiques moudjahidine ont été accusés de traitrise à l’indépendance par « le groupe de Yacef Saâdi », citant l’exemple de Fadila Attia.
La mise au point faite, Yacef Saâdi saisit l’occasion pour signaler que de précédents propos qu’il a tenus sur Larbi Ben M’hidi ont été déformés. « Je n’ai jamais déclaré que Larbi Ben M’hidi n’a pas tiré une seule balle. En apportant mon témoignage sur le séjour de Ben M’hidi à la Casbah, de septembre 1956 jusqu’à son arrestation et son assassinat en mars 1957, j’avais dit que nous nous soucions beaucoup de sa sécurité en sa qualité de dirigeant important de la révolution. Je lui avais fait confectionner une fausse carte d’identité au nom de Iboud Abderrahmane. Nous lui avions ‘interdit’ de porter sur lui ne serait-ce qu’une lame de rasoir ou un coupe-ongles, il y avait des points de contrôle et il pouvait se faire fouiller à n’importe quel moment, d’autant plus qu’il se déplaçait beaucoup. Il se sentait en sécurité parmi nous, au milieu de la Casbah qui grouillait de monde. Oui, durant son séjour à la Casbah, Ben M’hidi n’avait pas porté d’arme pour les raisons que je viens de citer. Sinon, je n’ai jamais déclaré qu’il n’a pas tiré une seule balle durant la révolution », conclut Yacef Saâdi.