La littérature française et plus généralement la francophonie sont à l’honneur à la Foire du Livre en cours à Francfort, mais pour les auteurs non français se faire entendre dans leur pays relève parfois de la gageure en raison essentiellement du prix trop élevé du livre.
“Si j’étais édité par une grande maison d’édition française, mon livre ne pourrait pas être lu en Tunisie”, se désole ainsi le romancier tunisien Yamen Manai.
Les éditeurs français pratiquent une commercialisation des livres inadaptée aux marchés des pays du Sud, ont dit en substance jeudi des éditeurs francophones d’Afrique et de Haïti au cours d’une rencontre organisée par le Bureau international de l’édition française (Bief).
Couronné par le prix des cinq continents de la francophonie, Yamen Manai est édité par Elyzad, une maison d’édition tunisienne née en 2005, qui publie essentiellement des livres en français.
Car “Elyzad vend le livre à un prix adapté au marché tunisien”, explique à l’AFP le romancier distingué par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).
“Aujourd’hui, un livre édité par une grande maison d’édition française et qui est exporté en Tunisie comme n’importe quel autre bien a un prix exorbitant”, regrette-t-il.
Si le romancier dont le français n’est pas la langue maternelle tient à s’exprimer dans cette langue, “une passerelle formidable entre les différentes cultures”, il veut aussi pouvoir être lu par les Tunisiens.
“Le livre est très cher en Algérie”, déplore l’écrivain algérien francophone Yasmina Khadra. “Le livre le moins cher représente un quinzième du salaire minimum”, dit-il.
– Eloge de la débrouillardise –
Il loue la débrouillardise de ses compatriotes qui “achètent un livre et, à tour de rôle, se le partagent”.
L’écrivain se souvient avec amusement des “locataires d’un immeuble de dix étages” à Oran qui avaient tous lus le même exemplaire de son roman “Morituri” en se le passant les uns les autres. “A la fin, du livre il ne restait plus rien”, dit-il dans un éclat de rire.
Ainsi, l’éditrice marocaine Layla Chaouni, fondatrice il y a 30 ans des éditions Le Fennec, souligne que le livre de la Franco-Marocaine Leila Slimani, prix Goncourt en 2016, ne s’était écoulé qu’à 7.000 exemplaires dans le royaume chérifien.
La cause de cette désaffection des lecteurs marocains est avant tout économique, estime l’éditrice, soulignant que le livre “Chanson douce” est vendu au Maroc 22 euros, bien au-dessus des moyens de la majeure partie de la population.
“Quand un éditeur français choisit d’+exporter+ un livre de son catalogue vers un pays du Sud plutôt qu’en vendre les droits à un éditeur local (qui pourra alors adapter le prix à son marché) le risque est de voir le prix du livre inaccessible pour une majorité de lecteurs”, confie à l’AFP un spécialiste de ces questions, s’exprimant sous couvert de l’anonymat.
Comme pour Leila Slimani au Maroc, le livre de Nathacha Appanah, “Tropique de la violence”, prix Femina des lycéens l’an dernier, demeure, à 20 euros, impossible à acheter pour la plupart des lecteurs de Maurice, son île natale.
Pour éviter cet écueil, Actes Sud, la maison d’édition dont la ministre de la Culture Françoise Nyssen a été la présidente, a opté pour la vente des droits des livres du romancier Kamel Daoud aux éditeurs algérien Barzakh et tunisien Cérès.
Mais, aussi important soit-il, le prix n’est pas le seul obstacle à la diffusion du livre.
Bien qu’elles pratiquent des prix abordables pour le marché marocain, les éditions Le Fennec ont constaté une baisse constante de leurs ventes.
“Au Maghreb, un best-seller c’est 3.000 exemplaires”, résume Yasmina Khadra.
En cause, selon Layla Chaouni, des lacunes dans la culture de la lecture et d’autres problèmes liés notamment au faible nombre de librairies et de bibliothèques.