La polémique de la fin du Ramadan en Algérie porte sur la zakat al fitr, l’aumône que tout musulman doit donner aux nécessiteux à l’occasion de la fête religieuse qui marque la fin du mois de jeûne.
Les réseaux s’enflamment depuis quelques jours autour du timing et de la manière d’observer cette obligation religieuse. Les adeptes d’un islam modéré font face au courant rigoriste qui prône un suivi à la lettre des préceptes du prophète de l’Islam. La société algérienne semble aussi divisée à en juger par la teneur des commentaires et avis des internautes.
Dans la tradition musulmane, il est connu que le Prophète a ordonné de sortir cette aumône, deux mesures d’orge ou de dattes, à l’aube du jour de l’Aïd-al-fitr, avant la prière.
Elle est imposée à tout musulman qui possède plus de sa ration journalière, même aux nouveaux nés. La quantité que doit sortir chaque famille dépend donc du nombre de membres qui la composent.
Les Algériens ont pris l’habitude de donner aux pauvres l’équivalent en argent de deux mesures de semoule. Le montant par individu est d’ailleurs fixé chaque année par le ministère des Affaires religieuses.
Cette année, la zakat est fixée à 120 dinars par membre de la famille, soit à peu près l’équivalent de deux kilogrammes d’orge ou de semoule. Cela n’a jamais posé problème, jusqu’à ces dernières décennies qui ont vu l’émergence de courants rigoristes et extrémistes.
Ce sont ces derniers qui font campagne sur les réseaux sociaux pour un suivi à la lettre de la Sunna. À la lettre, dans ce cas de figure, signifie que la zakat doit être donnée en orge, comme le faisait et comme l’a dit le Prophète. Les hadiths authentiques soutenant cet avis sont largement partagés.
Des fetwas prêtées à Cheikh Ferkous, leader du courant salafiste rigoriste en Algérie, sont reprises comme des injonctions desquelles il ne faudra pas s’écarter. Une liste de produits « conformes », avec leur mesure, est même établie (orge, semoule, farine, couscous…).
Un commerçant a même fait le buzz en inventant un emballage spécial zakat. Il a emballé ses produits (céréales et légumes secs) dans des petits sachets contenant l’équivalent en valeur de la mesure en orge édictée par le Prophète.
Zakat al fitr en Algérie : les Salafistes et les autres
Sauf que, une telle manière d’appliquer le précepte de la religion ne passe pas chez beaucoup d’Algériens qui, il faut le dire, ne manquent pas d’arguments rationnels, pratiques et même religieux pour contester la vision du courant rigoriste.
On peut lire dans les commentaires qu’à l’époque du Prophète, c’est-à-dire au 7e siècle, la monnaie existait certes, mais c’est le troc qui était largement pratiqué.
L’orge et les dattes pouvaient être donc aussi une monnaie d’échange. Une famille qui recevait une quantité de semoule pouvait l’échanger au marché contre toute autre marchandise.
Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Surtout, il est souligné que les besoins des familles ne sont pas les mêmes au 21e qu’au 7e siècle.
Des internautes expliquent que suivre le précepte à la lettre, c’est s’écarter de son esprit, c’est-à-dire de sa finalité, qui est de permettre à toutes les familles musulmanes, même les plus démunies, de partager la joie de l’Aïd-al-fitr en ayant à leur disposition tout ce dont elle a besoin pour cette fête.
Que fera une famille de dizaines de kilogrammes, voire de quintaux de semoule alors qu’elle n’a rien d’autre, ni viande, ni vêtements neufs ou jouets pour ses enfants ?
Les viandes, les fruits et légumes, les boissons, les gâteaux, les vêtements et les jouets constituent à peu près tout ce qu’il faut pour l’Aïd dans les familles algériennes.
Les nécessiteux doivent donc, pour les acquérir, revendre l’aumône qu’ils ont reçue en orge. Ce qui n’est pas pratique et peut-être impossible, même si la marchandise est bradée.
Pour trancher le débat, la commission des fetwas du ministère des Affaires religieuses a explicitement indiqué que la zakat peut être donnée en argent. Un avis défendu par le ministre Youcef Belmehdi dans les médias.
Beaucoup d’internautes ont, en outre, partagé une vidéo du défunt Abou Abdessalam, dans laquelle l’imam, adepte d’un islam algérien authentique et modéré, tout en avançant des arguments pratiques, expliquait que la remise de la zakat al fitr en argent a un fondement religieux indéniable.
Selon Abou Abdessalam, elle a été instituée par le troisième calife, Omar Ibn al Khattab, avec l’évolution d’économie de la société musulmane.
Les Algériens sont aussi divisés sur le moment opportun pour sortir la zakat. Au temps du Prophète, elle se faisait le jour même de l’Aïd-al-fitr, avant la prière.
Là aussi, c’est un autre argument très pratique qui est mis en avant pour contester le suivi à la lettre du précepte. Plusieurs internautes soulignent que leur remettre l’argent avant l’Aïd laisse le temps aux nécessiteux d’acquérir ce dont ils ont besoin.