Meriem Guemache est une écrivaine à la plume polyvalente. Elle amuse petits et grands, tout en faisant passer des messages forts. Après des études en lettres anglaises à l’Université d’Alger, elle intègre la chaîne III de la radio algérienne en 1989. Elle y produit et anime des émissions culturelles et de divertissement. Actuellement, elle anime « Les Bonnes Feuilles à croquer », les lundis de 21h00 à 22h00. Elle y reçoit des auteurs qui nous parlent de leurs livres.
À la veille du 8 mars, Meriem Guemache fait un cadeau d’exception aux femmes : « Zelda ». Dans son premier roman fictionnel, l’écrivaine met la femme à l’honneur et contribue, à sa façon, à donner la voix à celles qu’on essaye de taire.
Dans cet entretien, elle nous en dit plus sur ce roman, qui explore les sentiments humains dans une société algérienne où les hommes imposent souvent leurs lois. Quelle place pour la femme ? Quelle liberté lui concède-t-on ? Quelle marge de manœuvre pour exister par soi et imposer ses propres choix ?
Après les histoires pour enfants, la biographie fictionnelle et les nouvelles, vous vous attaquez à un nouveau genre. Qu’est-ce qui vous a poussée à aller vers le roman purement fictionnel ? Pouvez-vous nous le présenter rapidement ?
J’avais déjà écrit une biographie romancée « Un jour, tu comprendras » sur la vie de Fadhma Ait Mansour. La démarche de l’écriture est la même. Ce qui change, c’est que dans ce nouvel ouvrage, je donne libre cours à mon imagination en créant des personnages et en les faisant évoluer selon mon inspiration. Je suis capitaine à bord, tandis que dans une biographie romancée, il faut rester fidèle à l’histoire et aux faits tels qu’ils se sont vraiment déroulés.
L’histoire se passe entre l’Algérie et la Sicile. C’est un voyage effectué il y a deux ans dans cette région du sud de l’Italie qui a été une source d’inspiration pour moi.
C’est sur un ton léger et tout en musicalité que Zelda nous plonge dans le quotidien de la femme divorcée dans la société algérienne et soulève des questions sérieuses sur différents fléaux qui l’entourent.
À 39 ans, cette femme divorcée mène une vie tranquille : elle est passionnée par son travail de journaliste Web et s’occupe de son fils de onze ans. C’est lors d’un voyage à Palerme, en Sicile pour un reportage, que l’amour lui tombe dessus sans préavis. Commence alors une histoire pleine de rebondissements.
« Zelda » s’avère être un roman très riche en sujets sociétaux. Est-ce là une manière de lever le tabou sur ces aspects de la société algérienne ?
L’écriture d’un roman est aussi l’occasion de parler des sujets qui nous préoccupent. Quel que soit le style, on peut faire passer beaucoup de messages. Dans « Zelda » j’ai abordé plusieurs sujets tabous comme l’homosexualité, le harcèlement sexuel, l’infidélité, la peur de vieillir notamment chez les femmes…
Je parle aussi des fausses amitiés, de l’hypocrisie, de la bigoterie, de la solitude… Je promène mon curseur sur les émotions de mes personnages. Je les mets à nu.
Chacun d’entre eux nous permet de traiter d’un sujet différent, de par son vécu : Lila, sa sœur aînée, mariée très jeune aux dépens de ses études ; sa mère, Aicha, qui a du mal à s’ouvrir l’esprit, ou encore son voisin Karim qui la poursuit de ses assiduités. Tout ce petit manège s’effectue sous l’œil attentif de Roméo, le chat de Zelda, qui semble combler sa solitude.
Dans cette introspection, ils nous renvoient à la réalité. Notre réalité, notre société, notre époque.
Parlons de l’écriture en elle-même. Qu’est-ce qui a motivé votre choix pour cette approche teintée d’humour ? Et le titre alors, d’où vient-il ?
J’ai longtemps cherché un nom à mon personnage principal. Puis, un jour, « Zelda » m’est venu tout naturellement, comme une évidence. C’est un nom qui a du caractère, tout comme l’héroïne. C’est d’ailleurs ainsi que l’œuvre est devenue hyponyme.
Quant au style léger, il s’est imposé à moi depuis le début. Textes aérés, humour, utilisation d’expressions algériennes… Je pense que c’est un autre moyen pour véhiculer des idées et faire passer des messages aux lecteurs.
Il faut les accrocher, les garder, titiller leur curiosité, susciter en eux des questionnements. Au-delà du contenu, la forme est très importante dans la démarche de l’écriture. Chaque écrivain a le sien. C’est comme une empreinte, une signature, une identité.
Il y a aussi de nombreuses références à la musique, au cinéma, aux séries télé, à la littérature, à l’art plastique, la poésie… Il y est notamment question de Marguerite Duras, d’Isabelle Eberhard, d’Aurélie Picard (Lalla Tidjania) de Dassine la poétesse targui…
L’histoire nous entraîne sur l’Île Sainte Marguerite (sud de la France) sur les traces de l’Emir Abdelkader et de sa smala. C’est sur cette île de Lérins où six cents Algériens forcés à l’exil trouvèrent la mort entre 1843 et 1848.
Votre roman est une invitation à se poser des questions sur ce qu’est devenue la société algérienne. De quoi voudriez-vous qu’ils prennent conscience aujourd’hui ?
Que les temps changent et que la société doit évoluer avec son temps. Je ne donne pas de leçon. J’invite à la réflexion sur nos rapports entre humains, dans une société qui est la nôtre, au début du 21e siècle.
Enfin, j’ai hâte de retrouver mes lecteurs lors de rencontres littéraires pour échanger avec eux. À cause de la pandémie, la sortie de mon roman dont j’ai commencé l’écriture en novembre 2019 a été retardée. J’espère que mon nouveau roman leur plaira et que la musicalité et l’amour que j’y ai mis leur parviendront à travers mon écriture.
Un extrait du roman, un clin d’œil au Hirak…
« Les déboires amoureux de Yasmine ne se sont pas arrêtés là. Rue Didouche Mourad, au 6e vendredi du Hirak pacifiste et populaire, elle fit une rencontre qui ralluma son désir d’amour. Entre la forêt de pancartes qui frémissaient sous le ciel bleu d’Alger, a surgi une tête bien faite.
Poing levé dans une attitude rebelle et déterminée à la Che Guevara, le beau trentenaire lui souriait en agitant une affiche XXL sur laquelle était gravé au marqueur rouge « Je ne veux pas être un futur harraga ».
Yasmine éclata de rire et lui montra son écriteau : « Il n’y a que Chanel pour faire le n°5 ». Le visage de l’inconnu s’est éclairé. Il a marqué une pause, levé le pouce en l’air et a immortalisé le slogan de Yasmine avec son téléphone portable. Ensemble, ils ont marché jusqu’à la Grande-Poste en scandant des slogans de liberté. L’artère était bordée d’une colonne de fourgons de police. Hérissée de pancartes, Alger exultait. La révolte du peuple grondait dans le sourire et la communion… »
Zelda. 236 pages. Casbah Editions. 850 DA