Zoubir Zerarga est un écrivain algérien. Il a été primé en France en 2020 pour son roman « Meurtre scientifique » et vient de publier « Les ombres de février ». Dans cet entretien, il évoque la thématique de son roman, la place de la langue française en Algérie, la symbolique du mois de février et la révolte des Algériens pour le changement.
TSA : Vous venez de publier un nouveau roman : « Les ombres de février ». Pouvez-vous nous le présenter ?
Zoubir Zerarga : Tout d’abord je tiens à remercier votre journal pour cette tribune offerte. Effectivement mon nouveau roman : « Les ombres de février » vient de paraitre aux éditions Imal de Tizi Ouzou.
Ce livre se veut un récit avec un certain engagement narratif. C’est un condensé de réflexions romancées permettant une lecture originale des diverses thématiques abordées. Ainsi, il raconte en même temps l’espoir et l’échec, la lumière et les ombres, l’amour et la haine.
C’est aussi l’histoire d’une ville, d’un pays, d’une patrie où agissent des ombres en contre courant des aspirations pourtant largement exprimées. Il s’agit encore d’une poignée de résistants contre un ordre hermétique et sénescent qui n’admet aucune vaccination de rajeunissement.
Idir, personnage principal et dont le nom signifie vivre dans la langue maternelle, revient dans sa ville après une peine vicennale de prison. Sitôt arrivé, il constate que la cité qu’il vénère davantage est toujours maintenue sous la fièvre obsidionale d’un énième siège.
« Autour de lui, il ne constate aucun changement notable, sauf ces blocs hideux en béton, œuvre vicennale affreuse que les crédules prennent pour un développement considérable. Cela ne l’épate pas, connaissant le non sérieux des promoteurs de faux projets, partisans jusqu’à la caricature de l’insensé, adhérents zélés de l’irraisonnable. Au contraire, il lui semble que la ville est délibérément déformée par cette hideur architecturale et structurale à la déstructuration spatiale visant plus à la maintenir sous les affres du siège qu’à la propulser vers les horizons libres du progrès. »
Ensuite comme piqué par le dard du souvenir, il reconnait la placette de la liberté et en face de ce lieu présentement méconnaissable, il s’engouffre dans le café baptisé « Café du rebelle » qui lui avait servi de quartier général vingt ans plus tôt.
Dans ce lieu maintenant « converti aux pratiques de la rémission et à l’ordre de la prétérition », il est hélé par Lounès, un ancien ami. Une discussion s’engage alors entre les deux militants pour qu’à la fin le vieil ami missionne Idir, le revenant, pour aller rejoindre le cœur de la ville où quelques résistants lui maintiennent un pouls de survie.
À la tombée de la nuit Idir est rejoint par Tafat, la femme lumière, qui, brillant de mille éclats, le guide vers la poignée des résistants. En leur compagnie et dans une ultime bataille encore livrée par l’arme du sourire fédératif, Idir a fait le choix de l’amour et la paix, tout prêt au sacrifice final.
TSA : Pourquoi avez-vous choisi ce titre ?
Zoubir Zerarga : Tout à fait, le choix du titre n’est pas fortuit. Il est la vitrine du livre. Comme ce dernier colle parfaitement à l’actualité, le titre remplit bien son rôle si je peux dire de présentoir.
Donc mûrement réfléchi, le titre engage le récit dans un duel entre une dynamique de changement et une inertie misonéiste. Février qui signe l’espoir renaissant et les ombres qui opposent un nuage d’opacité et un déluge de manipulations.
TSA : Février symbolise le mois de la révolte des Algériens contre Bouteflika et le système en général…
Zoubir Zerarga : Exact. Comme le sont encore, mai, novembre, avril et octobre. Ici, dans ce récit, s’agissant d’une actualité récente, février revient pour ouvrir les onze chapitres qui constituent le livre.
Au fait, la symbolique est très présente dans ce roman, à travers le choix des lieux, et également à travers les noms des personnages. Personne ne peut nier la symbolique de la lutte pacifique de tout un peuple qu’on donnait pour mort durant la période d’un règne où la folie de la domination fut paroxysmique.
Durant encore des moments incertains où les voies de l’avenir furent congestionnées par une clique de gérontocrates et les desseins d’un devenir meilleur furent confisqués par une secte de ploutocrates. Et dans l’ensemble du roman, février symbolise la quête tant souhaitée d’un demain meilleur. Enfin, je soutiens que l’idée d’avoir recours aux symboles est simplement géniale.
TSA : Vous écrivez en français dans un pays où cette langue est en train de perdre définitivement sa place….
Zoubir Zerarga : Franchement la langue ne me pose aucun problème. J’écris tout simplement. Je suis trilingue et je peux écrire en Tamazight comme je peux le faire en arabe. Je n’en ai aucun complexe.
Le choix de la langue française est dû essentiellement à mes lectures majoritairement faites dans la langue de Molliere. En effet, à l’époque où j’avais découvert la magie de la lecture, tous les livres tombés entre mes mains étais en français.
Et maintenant je pense qu’il est trop tard pour pouvoir bousculer mes habitudes littéraires que ce soit en matière de lecture ou d’écriture. En plus, j’essaye de m’extraire à tout enjeu idéologique et je récuse la théorie de la langue unique.
Imposer une langue constitue une atteinte au choix libre. Et je crois que la diversité linguistique ne tuera personne. À ce sujet, je dirai que, même suivi par une poignée de lecteurs, je persisterai à produire dans cette langue qui a une place exceptionnelle dans mon cœur.
TSA : Y-a-t-il encore un lectorat francophone important en Algérie ?
Zoubir Zerarga : Evidemment, non seulement des lecteurs mais aussi des écrivains francophones. Il suffit de se rendre sur le Net pour savoir le nombre important de plumes algériennes qui émergent à travers les plates-formes d’écriture en rédigeant leurs ouvrages dans cette langue.
Certaines ont fait exception et ont été même primées lors de plusieurs concours.
Lorsque j’ai participé à la journée du manuscrit francophone en 2020, le deuxième pays qui présente plus de manuscrits après la France c’est l’Algérie. Et c’est le même classement chaque année. Donc, s’il y a autant d’écrivains, forcément derrière il y a autant de lecteurs.
TSA : En Algérie la production littéraire est faible. Pourquoi et de quoi souffrent les écrivains ?
Zoubir Zerarga : À mon avis, ce constat déplorable est dû à la faiblesse des professionnels du livre. À part certaines maisons d’édition qu’on peut compter sur les doigts d’une seule main, les autres versent dans un amateurisme primaire.
Ils veulent gagner de l’argent sans investir. J’ignore si des statistiques sont dressées au sujet de la production littéraire. Mais je crois que même les éditeurs les plus en vue, leur catalogue dans la collection lettres ne dépasse pas quelques vingt écrivains par an. C’est peu face en nombre important d’aspirants écrivains.
Ceux-ci, en portant ce projet, plutôt ce rêve, galèrent devant le refus des professionnels et face à la cupidité des amateurs. En effet, certains éditeurs obligent les auteurs à mettre la main dans la poche. Ainsi, en plus de l’effort intellectuel fourni pour achever son œuvre, l’écrivain se voit contraint à consentir un effort financier colossal s’il veut que son œuvre voie le jour.
S’en suit encore la difficulté de la distribution et de la promotion. Et l’absence quasi-totale d’espace dédié au livre accentue la difficulté de l’écrivain.
Ce n’est pas facile d’écrire un livre. L’écrivain y met cœur et passion ainsi qu’il consacre beaucoup de temps pour ficeler son œuvre et il n’est récompensé que lorsqu’il voit le produit fini de son acharnement intellectuel. Donc l’auteur a besoin d’une politique sereine et engagée du livre, et son talent émergera sans nul doute.
TSA : Pourquoi cette passion à l’écriture ? Elle vient d’où pour un profil technique comme vous ?
Zoubir Zerarga : En fait, la passion ne s’explique pas. Elle est peut-être innée. Oui, je possède un profil technique, mais je ne crois pas que l’univers de l’écriture soit réservé à une catégorie au détriment d’une autre.
La passion et l’ardeur surpassent ce genre de classification. Plusieurs brillantes plumes ne sont pas forcément de formation littéraire. Je pense au défunt Tahar Djaout qui était matheux, Youcef Zirem, qui est ingénieur en pétrole, Marc Levy, qui est architecte et d’autres qui n’ont pas suivi des études littéraires.
Pour vous dire, lorsque le penchant pour les mots vous habite depuis votre tendre jeunesse, l’envie d’écrire et la passion envers les lettres ne font que grandir en vous. Et assurément, un jour vous finirez par produire un livre passionnant, peu importe le profil duquel vous sortez.
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